éditions Théâtrales Jeunesse

Le Gardien de mon frère

de Ronan Mancec

Carnet artistique et pédagogique

III. Mise en jeu

Un essai paru récemment, Aristophane dans les banlieues, pratique de la non-école de Marco Martinelli, nous donne en tant que pédagogue un certain nombre d’outils pour faire naître et susciter le jeu chez nos élèves plutôt que de les faire jouer. À ce titre, je me permets d’inscrire ici un des principes premiers qui complétera la définition du concept sur le site des éditions théâtrales :

« […] Ce qui doit émerger du travail scénique, […], c’est la vie des adolescents, les contrastes dissonants qui aliment leur esprit, leurs lumineuses névroses, la lave incandescente qui se cache aux yeux des enseignants et des parents. »(1)

Marco Martinelli insiste sur l’importance d’écouter le groupe d’adolescent qui nous fait face. Les élèves doivent vite comprendre qu’ils sont force de proposition et véritablement acteur. Le professeur ne saurait faire office de metteur en scène et doit véritablement indiquer des directions. Cela passe par un travail préalable de lecture des élèves, puis par une analyse des passages clé où l’élève construit son propre rapport au texte, d’où des consignes de lecture ou d’écriture les plus ouvertes possibles pour faire naître le désir de jouer. Les exercices de mise en voix sont donc une façon de mettre le groupe en mouvement après un rapport individuel au texte, et la mise en jeu arrive comme l’étape finale du travail. Étape finale du travail qui résonne particulièrement avec les enjeux civiques du texte qui peuvent être mis au cœur d’un projet d’établissement puisque le texte traverse en quelque sorte les différentes formes d’homophobies banalisées dans un contexte familial et/ou plus généralement dans le rapport entre les jeunes gens. À ce titre, une analyse de Marco Martinelli me paraît particulièrement propice car il permet de mettre en évidence que le théâtre permet en quelque sorte d’affirmer des choix et de construire un rapport au monde différent de celui que l’élève peut trouver dans sa propre famille. On sait que le théâtre est évidemment la meilleure façon d’apprendre et de comprendre la démocratie mais travailler ce texte peut être l’occasion de relever des mécanismes et de faire réfléchir les adolescents à des comportements ou des situations homophobes qu’ils comprennent parfaitement bien pour les avoir subis, en avoir été témoin et ce même dans le microcosme d’une classe :

« L’adolescent vit un âge à la grâce bancale, il possède une conscience de soi "minimum" : il se regarde mais ne sait pas bien ni qui il est, ni ce qu’il deviendra. Il s’écoute et entend en lui plusieurs voix. Cette confusion est une richesse […] Il est habité par toutes les figures qu’il peut devenir […]. C’est une condition instable, délicate et douloureuse. Ils ne sont personne, ils sont comme blessés. Cette blessure est la voie royale pour la scène » (2)

Cette mise en perspective du jeu est essentielle pour comprendre que la pièce ne doit pas se transformer en procès de Jo ou des proches d’Abel mais doit rester un espace de questionnement pour que les adolescents puissent justement incarner les dissonances de la pièce en dépassant la séparation « méchant/gentil » qui bien souvent est encore très présente en 6ème et en 5ème avec une vision très réductrice de la littérature comme d’abord moralisatrice. La mise en jeu de cette pièce permettra aux élèves de s’engager pleinement dans des questionnements liés au genre, à l’orientation sexuelle, et au respect et possède en cela une grande et précieuse veine humaniste. Il est question dans les propositions qui suivent de mettre en œuvre un jeu théâtral qui pourrait impliquer tous les élèves en même temps, ce qui permet de donner un souffle au groupe et de favoriser l’apprentissage du texte.

Notes

(1) Marco Martinelli, Collection "Apprendre", Actes Sud-Papiers, 2020, p. 189-190.

(2) Ibid, p. 199.

Dans cette rubrique