éditions Théâtrales Jeunesse

Cent culottes et sans papiers

de Sylvain Levey

Carnet artistique et pédagogique

Toujours sur les quatre premiers fragments

La première piste à suivre consistera à emporter le texte du côté où son ancrage social et politique peut l’entraîner : un certain réalisme, tirant même du côté du naturalisme. On peut ainsi imaginer que chacun des fragments corresponde à une reconstitution : qui parle ? à qui ? où ? avec quels objets ? etc. Nous serons alors dans une sorte d’enquête policière, clairement connotée par endroits comme nous l’avons vu, avec des formules du type : « Il semble », « Quel drôle de » (voir la première partie de la mise en voix).

Si ce type de mise en jeu peut s’appeler « sans public », c’est que le choix du réalisme suppose qu’existe le quatrième mur. On fait comme si le public assistait à tout cela sans que les comédiens ne montrent jamais qu’ils savent que le public est là, ou seulement à de rares moments. On pourra ainsi faire lire, surtout par les plus grands, le passage de Diderot pensant l’idée de 4ème mur dans son ouvrage de 1758, Discours sur la poésie dramatique : « Imaginez sur le bord du théâtre un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas. ». C’est l’esthétique du trou de serrure, comme la présentait Brecht bien plus tard dans L’Achat du cuivre (Écrits sur le théâtre, I, L’Arche, 1972, pp. 551-557). Le public assiste à ce qui se joue sur scène comme s’il regardait par le trou de la serrure, comme s’il surprenait ce qui se passe sur scène, sans lui :

LE DRAMATURGE : Qu’en est-il du quatrième mur ?
LE PHILOSOPHE : Qu’est-ce que c’est ?
LE DRAMATURGE : Habituellement, on joue comme si la scène avait non trois murs, mais quatre ; le quatrième du côté du public. On suscite et on entretient l’idée que ce qui se passe sur scène est un authentique processus événementiel de la vie ; or, dans la vie, il n’y a évidemment pas de public. Jouer avec le quatrième mur signifie donc jouer comme s’il n’y avait pas de public.
LE COMÉDIEN : Tu comprends, le public voit sans être vu des événements tout à fait intimes. C’est exactement comme si quel­qu’un, par un trou de serrure, épiait une scène dont les prota­gonistes seraient à mille lieues de soupçonner qu’ils ne sont pas seuls. En réalité, nous nous arrangeons évidemment pour que tout soit vu sans difficulté. Simplement, l’arrangement est camouflé.

Consigne donnée aux élèves : vous allez proposer une mise en scène des quatre premiers fragments, en appui sur l’existence du quatrième mur.

Choix possible : réelle mise en jeu et en scène ou rédaction semi-collective d’un cahier de régie

Étant donné la difficulté que représente la mise en scène de ce texte, on pourra facilement imaginer que les élèves complètent leurs essais de mise en voix et de mise en espace par l’élaboration d’un cahier de régie, dans lequel rêver la mise en scène, y compris avec des moyens impossibles à exploiter dans le cadre du travail dans et avec une classe. L’idéal serait bien sûr de pouvoir montrer aux élèves un cahier de régie d’un vrai spectacle, si possible auquel ils auront pu ou pourront assister, de façon à les faire rentrer dans la professionnalité de la mise en scène dont ils comprendront mieux ainsi comment elle a pu être inventée au cours du XIXème siècle, précisément par Antoine, le réinventeur du 4ème mur.

À cet effet, l’enseignant intéressé pourra consulter le site du SCEREN/CRDP de Paris pour la partie « Pièces détachées » ou encore le site http://educ.theatre-contemporain.net.

En suivant cette piste de mise en scène, on pourrait ainsi voir apparaître en début de fragment 1 une armada d’enquêteurs, pourquoi pas du genre Sherlock Holmes, se retrouvant sur la piste des personnages propriétaires de vêtements que le public peut voir et entendre mais qu’eux ne voient pas et dont ils reconstituent l’histoire à laquelle le spectateur va d’autant plus s’identifier qu’il semble en apparence exclu de ce jeu. Le travail sur le premier fragment pourrait donner le cahier de régie suivant qui pourrait être agrémenté de croquis de dispositif scénique, de costumes, etc. :

Le chœur des enquêteurs, présent sur scène avant que le spectacle ne commence, s’anime et part à la recherche d’indices sur le plateau. Ils découvrent des vestes militaires, qu’ils se passent de mains en mains :

Quel drôle de
Petit
Militaire peut porter cette veste
US Army
Taille trente et quatre ?

Une fille apparaît en fond de scène, à jardin, vêtue de la même veste militaire, à peine éclairée. Le Chœur des enquêteurs ne la voit pas. Elle se parle à elle-même, comme un fantôme :

Le soldat première classe s’appelle
Clémence

Le chœur des enquêteurs continue son jeu de recherche et brusquement l’un des enquêteurs trouve un indice, une étiquette :

Clémence

Passage de mains en mains, le chœur se retrouve groupé en avant-scène cour, pleins feux froids :

Quel drôle de prénom
Pour celle qui porte une arme.

Le chœur des enquêteurs, de plus en plus fébrile :

Une tache
En bas
Sur la couture de la poche

La fille, pleine de douceur, semble vouloir les aider, petit geste au milieu de son immobilité

Celle de droite

Le chœur des enquêteurs

Du sang ?

La fille, gourmande

Non

Le chœur des enquêteurs sort ses éprouvettes, mesure, teste

Il semble non

La fille rit doucement de sa petite farce involontaire

Du chocolat

Le chœur des enquêteurs, déception manifeste

Du chocolat
Il semble oui

La fille sans les regarder, se parlant à nouveau à elle-même

Du chocolat oui

Le chœur des enquêteurs sortant leurs carnets, mines dépitées

Du chocolat oui pas du sang non.

La fille

Quelle drôle de
Petite
Guerre.

Le chœur des enquêteurs rangeant leurs carnets

Quelle drôle de
Petit
Régiment.

Noir plateau
La fille

Quelle drôle de
Petite
Guerre.

On le comprend, écrire le cahier de régie revient aussi à écrire le texte didascalique de régie que l’écriture de Sylvain Levey a complètement exclue et l’on comprend facilement une des raisons de cette absence. Là où il choisit de garder un maximum d’ouverture dans le rapport de son texte avec le passage au plateau, une recherche de mise en scène va nécessairement devoir faire des choix donc refermer cette ouverture et tous ses possibles.

Ici la proposition faite amènera à rendre visible certains des personnages propriétaires de vêtements, mais sans en faire un procédé qui nuirait fortement au rythme et à la force de la pièce. Dans le fragment 2, on ne verrait que le chœur des enquêteurs mais cela pourrait tout aussi bien se présenter comme un reportage télévisuel avec une grandiloquence journalistique détournant la poésie et les métaphores du passage :

La haie
Fine bouche
Et
Grande gourmande
A fini par manger le mohair.