éditions Théâtrales Jeunesse

Cent culottes et sans papiers

de Sylvain Levey

Carnet artistique et pédagogique

La première étape de la découverte de la pièce par les élèves consistera à relever tout ce que l’on ne trouve pas au premier abord.

Consigne donnée aux élèves : en feuilletant la pièce, qu’est-ce que vous ne trouvez pas que l’on pouvait attendre ? Qu’est-ce que l’on trouve que l’on n’attendait pas ?

a) Pas de liste de personnages ni de personnages nommés

Quand les élèves vont ouvrir la pièce, ils ne pourront que faire ces remarques, immédiatement visibles : aucune liste de personnages au début de la pièce, aucun nom de personnages dans le corps du texte, comme on l’attend d’ordinaire dans le modèle classique de l’écriture théâtrale dialoguée. Les élèves le verront bien dès l’incipit de la pièce :

Quel drôle de
Petit
Militaire peut porter cette veste
US Army
Taille trente et quatre ?
Le soldat première classe s’appelle
Clémence
Clémence
Quel drôle de prénom
Pour celle qui porte une arme.
Et pourtant…

On remarquera cependant que l’on trouve des noms de personnages, mais dans le corps de la parole dont on n’a pas l’origine, qui n’est pas clairement identifiée, qui ne ressemble pas complètement à un monologue.

Consigne plus précise donnée aux élèves : relevez tous les prénoms ou autres modes de désignation de « personnages » que l’on trouve dans la pièce.

Dans l’incipit, on a ainsi « Clémence ». On trouvera ensuite, dans l’ordre :

  • Samir (p. 12) que l’on retrouve p. 73, p. 77
  • Alban (p. 17)
  • Victor (p. 20)
  • « Fluette » (p. 23)
  • « Haut comme trois pommes », accompagné d’un grand nombre d’autres surnoms, principalement « Courpartout » (pp. 30- 32)
  • « Maîtresse » (pp. 38-40)
  • Jimmy (pp. 49-51)
  • Clovis (pp. 52-55)
  • Bérénice (p. 59), que l’on retrouve p. 72, avec un clin d’œil à la Bérénice de Racine.

On remarquera dans ce petit travail de recherche qu’apparaissent aussi des noms de personnages que l’on pourrait dire « de second degré » comme Ferdinand et François (pp. 55-57) qui correspondent à ce que les personnages du premier niveau vont s’amuser à endosser, dans une forme particulière de théâtre dans le théâtre.

On remarquera également que la question de se faire nommer est presque inscrite au cœur de la pièce, en creux dans le manque de personnages nommés mais aussi de façon indirecte, dans un second niveau de fiction ainsi p. 73 pour les enseignants et p. 77 pour les enfants : « parce qu’il ne s’appelle pas Pierre, Paul, Jacques ou François ».

Cela ouvrira alors un questionnement sur le « qui parle dans la pièce ? »

Consigne donnée aux élèves : comment vous représentez-vous le personnage qui assume la parole dans la pièce ? Un ou plusieurs personnages ?

La réponse à cette question, complexe, passe sans aucun doute par l’exploration de la consigne suivante sur le découpage du texte mais les élèves pourront assez vite identifier une voix que l’on peut sentir comme la voix de l’auteur. On amènera ainsi les élèves à remarquer p. 77 la présence d’une adresse à l’un des personnages, Samir, présent à 3 reprises :

C’est ton dernier jour ici avant ta sortie.
Samir

Là aussi, on peut distinguer deux niveaux car la question du moi, ME, est posée à plusieurs reprises dans le second niveau de fiction : ainsi pp. 52-55 dans le passage consacré à Clovis, cet enfant tant nommé mais invisible aux yeux de ses parents, ou encore pp. 64-65 où se trouve mis en question le sens de M + E = Me / Mauvais Élève.

b) Pas de découpage explicite : des tranches de vie, mais liées

Dans le cours du même travail de découverte, on va remarquer qu’il n’y a aucun découpage en scènes, actes, fragments nommés. Par contre, les enfants vont très vite remarquer que des tirets larges, à gauche des pages, découpent l’ensemble du texte en un certain nombre de passages que l’on pourra nommer « fragments ».

Consigne donnée aux élèves : Vous compterez puis identifierez les fragments, par le nombre de pages, la thématique.

On trouve 34 fragments.

Voici ce que donnera l’analyse précise de la structuration de la pièce, pour sa première moitié :

  1. Clémence pp. 7-8
  2. Le pull du printemps sur la haie pp. 8-9
  3. La cagoule bleue marine de Samir pp. 9-12
  4. Le Am stram gram de l’expulsion pp. 13-15
  5. Le mouchoir blanc sur le radiateur pp. 15-16
  6. Le petit débardeur taille XS col en V p. 16
  7. Le pantalon d’Alban pp. 17-21
  8. La veste canadienne pp. 21-24
  9. Le gant du jeu feuille/ciseaux pp. 24-25
  10. Le slip de piscine pp. 25-27
  11. La gifle scolaire pp. 27-29
  12. Le foulard pp. 29
  13. Le pull de Courpartout pp. 30-32
  14. La blouse grise à l’étoile jaune pp. 32-34
  15. Les déguisements pp. 34-38

Consigne donnée aux élèves : Que remarquez-vous concernant le rythme de cette composition ? Comment peut-on appeler ces fragments ?

Cette construction rend le résumé de la pièce impossible. Comme on le sent, aucune structure unifiée et globale ne fait rentrer cette parole dans les cadres admis séparant texte dialogué et texte didascalique dans le modèle de la pièce machine. On aidera les élèves à rentrer dans ces questions en leur présentant les deux outils construits par Michel Vinaver, pièce-machine et pièce-paysage, croquis à l’appui.

Comme Jon Fosse dans Le Manuscrit des chiens, mais plus encore, la parole ici se dénude, éloigne tous les artifices d’une théâtralité d’ornement et construit un rapport à la scène très concret, inscrit dans la langue, les mots, le rythme, les situations. Qui parle ? A qui ? Quand ? Où ? Comment ? Ce sera la base d’un travail de plateau et même de mise en voix.

La pièce fonctionne comme autant de coups de poings ou de confidences profondément adressés au lecteur/spectateur, avec des fragments très courts (cf le 12, 2 lignes) et d’autres beaucoup plus longs dont le dernier, le 33ème, qui va de la p. 68 à la p.81, soit 13 pages. Chacun des fragments correspond à une tranche de vie.