éditions Théâtrales Jeunesse

Holloway Jones

de Evan Placey

Carnet artistique et pédagogique

Le déterminisme est à l’origine un principe scientifique stipulant que l’existence d’un phénomène est entièrement et exclusivement lié à certaines conditions nécessaires à son apparition. Cela exclut donc la notion de hasard : le lien de causalité qui unit une chose et son phénomène (une réaction chimique par exemple) ne peut pas s’apparenter à un accident, une coïncidence, ou un imprévu (pour notre exemple, la réaction chimique aura été provoquée par l’utilisation de certains produits spécifiques, mélangés dans un ordre précis, en quantité mesurée…).

Les sociologues ont repris cette notion de déterminisme en l’appliquant aux individus. Au XIXe siècle, Émile Zola, chef de file du roman naturaliste, s’intéresse de près à la société de son époque en étudiant toutes les classes sociales, en catégorisant les individus selon leurs milieux sociaux d’origines. Pour lui, l’homme est conditionné dès sa naissance par sa famille et son milieu social et il ne pourra jamais devenir « quelqu’un d’autre », pénétrer un autre milieu que celui dont il est issu. À ce propos, Zola écrit dans Le Roman expérimental : « [...] il [le roman] substitue à l’étude de l’homme abstrait, de l’homme métaphysique, l’étude de l’homme naturel, soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu […] ».

Du déterminisme au fatalisme, il n’y a qu’un pas.
D’un côté, on considère que tout est mis en place par la société pour qu’un individu ne puisse pas s’échapper de sa condition de départ : il a beau lutter, tout le ramène à sa naissance, à son milieu d’origine.
De l’autre, lorsque l’on parle de fatalité, on reconnaît le fait qu’une puissance supérieure, voire une volonté divine, détermine le destin. C’est donc sensiblement différent, puisque cela signifierait que notre malheur et notre bonheur sont entre les mains de quelqu’un ou de quelque chose qui nous dépasse, avec qui/quoi on ne peut pas interagir, sur qui/quoi on ne peut pas influer.
C’est là que la tragédie intervient.
Par exemple, la Belle au bois dormant, malgré toute la protection et le soin dont elle fait l’objet, devra se piquer au fuseau d’un rouet et sombrer dans un sommeil profond. Personne n’aurait pu empêcher la malédiction d’advenir.
Pour étudier le fatalisme, on peut ainsi se pencher sur les mythes et légendes, dont certains ont été repris par des auteurs grecs de l’antiquité comme Œdipe roi de Sophocle ou L’Orestie d’Eschyle. Plus tard, Racine reprendra lui aussi les mythes grecs, mais c’est l’amour et les affres de la passion qui entraîneront les héros vers leurs fatals destins.

Dans un premier temps, il sera intéressant de travailler sur ces différences, afin de veiller à ce que les élèves ne confondent pas déterminisme et fatalité.
Ces notions éclaircies, ils pourront chercher tous les éléments de déterminisme social qui jalonnent l’œuvre d’Evan Placey en analysant le parcours des personnages, leurs noms et l’histoire de l’héroïne.
Par ailleurs, ces concepts peuvent être source de débats au sein de la classe. Voici quelques propositions de sujets qui pourront être abordés au collège ou au lycée. Selon la maturité du groupe, les réflexions seront plus ou moins approfondies.

La fatalité est-elle une notion qui existe encore de nos jours ? (Il s’agira éventuellement d’aborder le thème de la religion si le contexte le permet)

Il y a également en jeu, à travers les notions de déterminisme et de fatalité, la question de la liberté d’action : est-on réellement impuissant face à notre existence ? Ne peut-on pas changer les choses ? Se changer soi ? Holloway Jones, avec le BMX, va réussir à « s’autodéterminer » en choisissant la manière dont elle va pratiquer ce sport, dans quel état d’esprit, dans quel but, comme on peut le voir p. 7 : « Toujours, un seul objectif en cours, plus important que la maîtrise du parcours, éviter de percuter les autres vélos, ce qu’il faut, c’est comprendre que sur la piste, y a pas d’équipe qui tienne, tu gagnes ou tu perds, à toi de savoir ce que tu vas faire […] ».

a) Un titre évocateur

Holloway Jones est ce que l’on appelle un personnage éponyme. Mais le prénom de la jeune héroïne n’a pas été choisi au hasard, puisqu’il s’agit de la prison où elle est née. Ainsi on peut interroger les élèves :

Que signifie « personnage éponyme » ? (question qui peut être posée aux collégiens, mais qui mérite peut-être d’être revisitée au lycée). Connaissez-vous d’autres titres d’œuvres reprenant le nom du héros ?
En faisant ce choix, quel parti pris fort prend l’auteur ? Quand un titre est à la fois le nom de l’héroïne et le nom d’une prison, que peut-on présager de son destin avant même de lire le texte ?
Quel titre auriez-vous choisi pour cette pièce ?

b) L’onomastique

Les personnages sont représentés par leur nom ou par leur fonction, comme Coach, Maman ou Policier. Il semblerait que l’auteur mette tout en place pour que le destin s’accomplisse, chaque protagoniste ayant un rôle très défini. On peut à nouveau inviter les élèves à réfléchir sur la façon dont les personnages sont nommés, leur perte d’identité au profit d’une fonction, d’un rôle à jouer auprès de l’héroïne. Ils n’existent qu’à travers elle, n’ont pas d’existence propre.
Les personnages sont nommés par leur fonction, l’auteur a choisi d’ôter l’article défini qui d’ordinaire l’accompagne. Pourquoi ce choix ?
Comment ces dénominations des personnages conditionnent-elles leur parole ?
Pour mieux appréhender le discours de ces personnages, on pourra proposer aux élèves de rédiger un monologue en prenant exemple sur Holloway Jones (qui écrit une lettre à son futur moi pp. 93-97), ou avec d’autres contraintes de forme :
En faisant des listes comme Lys Martagon dans la pièce éponyme de Sylvain Levey, (p. 41) :

Lys Martagon.- Se baigner nue et nager le dos crawlé jusqu’à ne plus pouvoir. Faire la planche. Faire des bulles. Tourner sa langue. Se mettre à pleurer juste pour se faire rire. Faire semblant de faire la morte pour savoir ce que ça fera quand ce sera ton tour vraiment. Et se relever aussitôt. Jouer du banjo. Gratter la guitare. Brancher un ampli. Se faire des couettes. Des mèches. Se raser la tête. Humer l’air frais. Jouer de l’ukulélé. Ne pas se laver tous les jours. Sentir sa peau baignée de soleil puis gorgée d’eau puis baignée de soleil puis pleine d’eau à nouveau. Mettre le pied derrière sa tête. Confondre sa droite et sa gauche. Marcher en marche arrière. Ouvrir les bras. Prendre les devants sur l’été. Regarder le soleil bien en face. Se coucher sur son ombre. Tomber. Se relever. Ne pas courir contre ni derrière mais à côté. Avec. Poser sa main sur une épaule. Vider son sac une bonne fois pour toutes et emplir l’univers de sa voix qui chante. Gonfler la poitrine et crier n’importe quoi (Ararat. Rubis. Kilimandjaro. Topaze. Fuji-Yama. Saphir. Méduse. Émeraude. Étoile. Erebus. Stromboli. Agate. Etna. Zéphir. Zéro. Zeugma. Zinzolin. Zirconium. Zizanie. Zozo. Zygomatique. Zigouigoui. Zoulou. Zozio. Zarbi. Zigzag.) de préférence et regarder le monde droit dans les yeux. Bien en face. Les poings serrés sur les hanches et les pieds comme deux racines de toi mon arbre. Les pieds les deux bien ancrés dans la terre qu’il neige qu’il pleuve ou qu’il vente.

En répondant à la question « À quoi ça sert de grandir ? » comme Rosemarie dans la pièce Les Saisons de Rosemarie de Dominique Richard, (p. 31) :

Rosemarie.- À quoi ça sert de grandir ? Ça n’amène que des soucis. J’aimerais rester la même un petit peu, que j’aie le temps de m’habituer. Je me souviens qu’avant, je parlais aux arbres comme à moi-même, que j’étais les frissons du vent, que la terre collait si bien à mes chaussures qu’elle était le prolongement de mes pieds. Je ne faisais qu’un avec les étoiles et les fourmis, les collines et les rivières. J’étais le monde. Aujourd’hui, toutes les choses sont posées devant moi, inertes comme des cailloux, et je suis une grande fille, comme dit papa, enfermée dans sa tête.