éditions Théâtrales Jeunesse

Holloway Jones

de Evan Placey

Carnet artistique et pédagogique

Comme beaucoup d’auteurs, les inspirations d’Evan Placey proviennent, entre autres, de ses lectures et de tout ce qui a pu enrichir sa bibliothèque intérieure.
C’est ainsi qu’il s’est emparé des codes de la tragédie pour les détourner.

À chacun son rôle

Les personnages qui entourent Holloway ont un rôle très défini comme dans toute tragédie ou conte. Leur psychologie n’est pas ce qui nous importe. Seul compte leur positionnement face à l’héroïne. Au préalable, on peut donc interroger les élèves sur la manière dont ils perçoivent chacun des personnages.
Quels sont ceux qui s’opposent à l’émancipation de l’héroïne ?
Quels sont ceux qui la poussent à se débarrasser de ce déterminisme ?
Vous pourrez ainsi ensuite, analyser le comportement des personnages en les scindant en deux catégories : les personnages opposants et les personnages adjuvants

a) Les opposants

Certains personnages empêchent Holloway d’avancer. Ils sont là pour lui rappeler d’où elle vient. Voyous ou oiseaux de mauvais augure, leurs rôles détenaient auparavant une dimension divine, plus mystique.

Le chœur

De la tragédie antique, Evan Placey a conservé le chœur, en l’affranchissant de son rôle traditionnel. Ici, il ne vient pas conter de grandes épopées auxquelles le public n’a pas pu assister ; il ne chante ni ne danse, mais prend en charge la vox populi à travers différents représentants de notre société contemporaine.
Ce qui le différencie surtout, c’est qu’il soit changeant, représentant parfois des institutions officielles (comme la police ou les gardiens de prison), parfois le peuple (des gens dans un bus ou des voisins).
Tous cantonnent Holloway à son rôle de future délinquante et l’enjoignent même à le devenir.
Voici quelques exemples :
« Le bébé né dans la prison meurt dans la prison.
Il sort, mais revient bientôt derrière les barreaux » (les infirmières, p. 9)
« On ne peut pas réécrire son histoire, aucun espoir de changer le destin tracé, le lot qu’on a tiré, on dira tout ce qu’on voudra, n’importe quel idiot peut faire du vélo. » (les gardiens de prison, p. 22)
« Bébé des prisons. Bébé Holloway. Holloway Jones. » (les policiers, p. 79)

Ce chœur pourrait même être la voix intérieure d’Holloway, tant elle a intégré ses injonctions comme étant siennes.

Elle s’exprime d’ailleurs comme le chœur à certains moments et devient son propre frein.

Holloway.- « … plus près
Pas des pédales, mais des barreaux en métal
Tandis que tes futures jambes moulinent en arrière, repassent la frontière, font retourner les roues du vélo jusqu’à la réalité. Maintenant. » p. 14

On peut ainsi poursuivre la recherche en parcourant tout le discours pris en charge par le chœur.
Avec des élèves de collège, on pourra s’interroger :

Le chœur porte-t-il parfois Holloway, la soutient-il ?
Est-il présent de la même manière tout le long de la pièce ? (fréquence de ses interventions)
S’exprime-t-il comme les autres personnages ?

Avec des élèves de lycée, il sera possible de les inviter à réécrire la parole du chœur (voir l’exercice intitulé « L’écriture du chœur rimé » dans la partie concernant les ateliers d’écriture).
Une seconde possibilité serait de comparer le chœur de cette pièce avec les chœurs antiques, et les chœurs des tragédies revisitées par des auteurs plus contemporains (par exemple, La Voix chez Cocteau, dans sa pièce La Machine infernale, qui reprend le mythe d’Œdipe Roi, le chœur chez Anouilh dans son Antigone, les références sont en annexes).

Maman

Maman est le premier frein dans la vie d’Holloway. C’est elle qui lui a donné le nom d’une prison. Peut-on trouver manière plus symbolique d’enfermer son enfant ?
La mère n’a plus de mémoire, elle emmêle les histoires, ne sait plus l’âge de sa fille. Elle lui demande même de lui fournir sa drogue. Holloway sait qu’elle ne peut pas compter sur elle. Elle n’est pas un appui pour pouvoir se construire.
L’angoisse de ressembler à cette mère totalement défaillante peut l’encourager à s’en sortir.
Maman est condamnée et enfermée, elle n’est plus maîtresse de son destin, tout comme avant elle, les héros antiques, qui subissaient la loi des dieux.
Holloway finit d’ailleurs par comprendre qu’il lui faut s’éloigner de sa mère si elle veut se donner une chance d’avoir une autre vie.
Ce choix de l’auteur pourrait faire l’objet de pistes de réflexions à partager avec les élèves.
Si nous étions dans une tragédie, quel aurait été le rôle de la mère ? La fuite d’Holloway lui aurait-elle permis de conjurer son destin (à comparer avec des personnages de tragédie) ?

Plusieurs répliques de Maman racontent son parcours.
Il pourrait être intéressant d’analyser trois passages :

Sa première intervention, quand elle raconte l’histoire des patins à roulettes (p. 15). Quelle est la symbolique de cette anecdote ?
« On dit des tas de choses aux filles pour les faire rêver, on dit des tas de choses aux filles pour profiter d’elles. » (p. 18) Quelle est la portée de cette phrase ? Que peut-elle provoquer chez Holloway ?
L’une des dernières répliques est : « Bon, je te laisse te préparer. Je vais rejoindre ma place… tu sais que ça coûte une fortune d’assister à ta course. » Comment a évolué le personnage ? Comment peut-on entendre le mot « place » ?

Avery

Avery est un voyou du quartier. Le vol est sa seule manière d’envisager une ascension sociale. Il fait rêver Holloway et l’attire vers la mauvaise pente. Il endort sa vigilance avec des cadeaux qu’il fait apparaître comme par magie (les portables, les chaussures…). Il lui fait miroiter l’image d’une vie facile, mais si elle y succombe, cela la conduira en prison.
Il pourrait être un personnage machiavélique qui sème la zizanie (entre Gemma et Holloway par exemple), à la manière d’une Lady Macbeth ou d’un Iago complotiste. Mais Avery peut être vu lui aussi comme une victime de ce « déterminisme social », il ne cherche pas à nuire pour se venger.
Avery ne respecte pas la loi des hommes (il vole, il agresse…) ni la loi divine : il crée sa propre mythologie. Il serait intéressant ici de voir comment il participe à l’édification de son mythe personnel (mystère, actes…)
Si l’on joue ce rôle, on peut essayer plusieurs postures. Est-il amoureux d’Holloway ? Cherche-t-il juste à l’utiliser ? A-t-il conscience de ce qu’il fait ?
Il est toujours intéressant d’essayer de défendre son personnage au maximum. Jouer un Avery amoureux, qui entraîne Holloway malgré lui dans sa chute, serait susceptible de lui apporter une épaisseur inattendue, de même s’il devient un personnage « sacrifié », un bandit « noble ».
Comment Avery emprisonne-t-il peu à peu Holloway ?
Ici, il s’agira pour les élèves de montrer qu’Avery crée une sorte de dépendance affective et physique chez les autres, et particulièrement Holloway. Elle est cernée par ses objets (chaussures, portables…) et Gemma, elle, est « enferrée » par tous les bracelets, colliers, que lui offre son fiancé de la bande. Ces parures sont autant de chaînes qui entravent leur liberté (on peut relier ça aux esclaves qui portaient aux pieds des bracelets/grelots…). Il crée aussi une dépendance affective, par les mots qu’il emploie : « Je t’aime, tu sais ça. » (p. 68), « Tu ne me fais pas confiance ? » (p. 36), « Toujours le meilleur pour ma femme. » (p. 37)

b) Les adjuvants

D’autres personnages, au contraire, aident Holloway à sortir de cette vie toute tracée. Guides, fées, conseillers, sont des personnages classiques que l’on retrouve fréquemment. Leur rôle est toujours d’accompagner le héros qui, attiré par le luxe, la facilité ou aveuglé par l’amour, peine à les écouter. Dans cette version moderne, le conseiller est une amie d’enfance, et le guide, un coach.

Gemma

Gemma est la meilleure amie d’Holloway, elle est aussi sa mémoire et sa « mauvaise conscience », comme Jimini Cricket dans Pinocchio. À l’image de sa mère, Holloway préfère oublier le passé qu’elle considère comme dangereux. Gemma a des projets d’avenir, des ambitions, et fait tout pour inciter son amie à prendre le même chemin qu’elle.
Comme Holloway, elle reste cependant influençable (au début de la pièce, elle croit elle aussi pendant un temps à cette « vie facile » que lui promettent Avery et sa bande), mais parvient à faire ses choix, s’émanciper du groupe.
Quelles sont les valeurs, les principes de Gemma ? Sont-ils permanents ?
Ce qui est intéressant à montrer ici, c’est que Gemma construit ses valeurs au fil de la pièce. Ses jugements ne sont pas définitifs (elle pique de l’argent dans la caisse de sa mère, en faisant passer cela pour « une petite avance sur [son] futur héritage » (p. 34), et en même temps, elle condamne les vols que commettent les autres personnages comme Avery).
Il serait intéressant d’identifier les nombreuses facettes de ce personnage (tour à tour menaçant, protecteur, prophète, conseiller…) et de se demander comment le jouer (avec des costumes différents ? Des accessoires type masques ? Un élément particulier ? etc.).

Coach

La scène de la rencontre d’Holloway et Coach est assez emblématique de leur relation (pp. 27-29). On y perçoit la méfiance de l’héroïne ainsi que la patience et la bienveillance de Coach qui se mettent immédiatement en place. On sait déjà que ce chemin-là ne sera pas le plus facile.
À propos de Coach lui-même, les élèves pourront s’interroger :

Que symbolise son nom ? Une recherche étymologique du mot « coach » peut accompagner cette réflexion (le coche, la voiture/vitesse qui entraîne…)
Quel est son pendant français ? Il faudrait en dégager les sens parallèles (éduquer, emmener quelqu’un, traîner quelqu’un, lui apprendre, le dresser) : quelles en sont les connotations négatives ou positives, les associations mentales et les sens implicites qui s’en dégagent ?
Que raconte le dialogue entre Holloway, Coach et Avery pp. 44 à 46 ? Quelle est la vision de la vie de Coach dans ce passage ? À quels autres moments peut-on voir cela ? (On pense ici au début du texte par exemple, p. 12, à propos de la médaille gagnée par Holloway.)

c) L’héroïne

Holloway doit trouver sa place dans le monde. Pour cela, elle est confrontée à des choix : doit-elle suivre Avery ? Coach ? Gemma ?
Choisir, c’est aussi renoncer. Comme Antigone qui choisissait d’enterrer son frère en dépit de la loi qui le lui interdisait formellement, la condamnant ainsi à la mort, Holloway doit quant à elle renoncer à son amour pour Avery pour se protéger, ce qu’elle se résout à faire lorsqu’elle le livre aux policiers, (p. 86) :
Holloway. – Si t’es un coureur sur route, il y a des poissons pilotes, tu sais, ceux qui protègent le sprinter, qui l’aident à gagner, en acceptant de perdre, un sacrifice pour l’équipe.
Mais dans le BMX, il n’y a pas d’équipe à défendre. Alors tu choisis. C’est leur peau. Ou la tienne. […]
(au public) Je choisis la mienne.

Mais pour en arriver à ce choix, l’héroïne passe par plusieurs états, plusieurs mondes intérieurs qui s’affrontent et qui la transforment (manière de s’habiller, de parler…).

Il est intéressant d’analyser les différents registres de langage :
S’adresse-t-elle à sa mère comme à Avery ou aux autres personnages (les policiers par exemple) ? Et comment son mode d’expression diffère selon les situations (au commissariat, au parloir, dans la rue, à l’entraînement) ?
Il serait aussi intéressant de relever les phrases qui reviennent régulièrement :
« Je connais mes droits » p. 41, p. 57, p. 72
« Choisis une voie. Suis-la. » p. 33, « Tu fais ton choix, tu fais avec et tu t’y tiens. » p. 76, p. 82 « Tu fais ton choix et tu t’y tiens. Il n’y a pas de plan de secours. Tu fais ton choix et tu t’y tiens. Il n’y a pas de plan de secours. » « Tu choisis : c’est leur peau. Ou la tienne. » p. 7, p. 46, formule reprise en partie par Coach et Avery, « Alors tu choisis. C’est leur peau. Ou la tienne » p. 86.
Ces répétitions peuvent être apparentées à ce que l’on appelle le mantra. Ce terme vient du sanscrit (langue de la civilisation brahmanique de l’Inde). Il signifie « moyen de pensée » (vient de – man, « penser »). Le mantra est à l’origine une formule sacrée du brahmanisme, qui, associée à certains rites, posséderait une vertu magique. Henri Michaux, dans son livre Un barbare en Asie écrit, p. 22 : « […] les armées indiennes utilisèrent toujours comme arme de combat les Mantras, formules magiques. » (source : Dictionnaires Le Robert 2016).
Connaissez-vous d’autres formules de ce type (litanies, psaumes…) ?
Comment la parole peut-elle être « une défense pour l’esprit » ? Est-ce que c’est le cas pour Holloway ? A contrario, quels sont les moments où elle utilise ces formules, à l’image des armées indiennes, comme une arme ?

Relever aussi les pronoms impersonnels et tournures impersonnelles (« On a autant le droit que le mec du bus d’avoir tous ces trucs » p. 45, « Si tu nous quittes, nous, tout ça, ça veut dire que t’es pas très loyale. » p. 52, « on ne parle pas aux poulets » p. 40, « Je peux y aller maintenant ? On m’attend. » p. 56).
Cela provoque une perte d’identité. Holloway devient quelque chose qui « fait joli dans le tableau » (Avery, p. 49), ou « une pauvre fille sur le carreau » (Chœur des voisins, p. 54). Elle fusionne avec Avery, ce que l’on peut voir lorsqu’elle dit à Gemma, (p. 74) : « Et si tu t’amuses à répandre des rumeurs sur lui, c’est comme si tu m’insultais, moi. »
Cela s’accompagne d’une altération du discours : il serait intéressant que les élèves relèvent tous les moments où le discours d’Holloway déraille.
Sa parole est gangrenée par celle des autres. Par exemple, p. 18, la mère dit « Si tu continues à te souvenir de tout comme ça, tu vas avoir des ennuis. », et Holloway plus loin répliquera à Gemma « C’est pas sain de se rappeler tous ces trucs du primaire. » p. 39. Holloway intègre le discours des autres et le reproduit soit par la répétition, comme ici et comme à la p. 37 où elle devient un véritable perroquet, soit par le ton, comme à la pp. 64-65 : le dialogue avec sa mère qui ressemble aux dialogues des « bandits » avec des injonctions « Tu dois payer », menaces « Rien n’est gratuit », ou fanfaronnades « La prison ? C’te blague ».

Et où cette dépersonnalisation s’arrête, p. 81 :
Avery. – […] On va s’en sortir.
Holloway. – Comment ça « on » ?

Noter la reprise du « je » : avec l’affirmation de soi « Je ne suis pas comme toi. Je suis comme personne […] » p. 84. Qu’est-ce que cela provoque chez Holloway ? Il serait intéressant de s’appuyer sur le texte assez finement pour déceler les amorces de cette nouvelle identité.

d) Le vélo BMX

L’auteur a choisi le vélo comme objet transitionnel.
Il est à la fois porteur d’espoir, d’ascension sociale, mais aussi symbole de vitesse et du chemin à parcourir, avec les chutes, la peur et le courage que cela implique.
Il est extrêmement présent : Holloway entre sur son BMX au début de la pièce et termine par une course. On peut considérer le vélo comme un personnage à part entière et ainsi interroger les élèves sur sa fonction. On peut l’envisager comme une sorte de « tuteur » qui vient soutenir et aider Holloway à grandir, comme les armatures de bois qui soutiennent les plantes fragiles.
À un moment, il est accroché à un poteau et y reste un certain temps. Pourquoi ? Qu’a voulu signifier Evan Placey ? Que se passe-t-il pour l’héroïne ?