éditions Théâtrales Jeunesse

L’Entonnoir

de Jean Cagnard

Carnet artistique et pédagogique

« Je suis parti sur l’idée qui consiste à rendre réellement précaire et fragile dans sa matière et dans sa chair le monde de Précair » J. Cagnard

On entrera dans la fable par la lecture partagée des scènes 1 à 4, si possible en cercle, ce qui installera d’emblée le texte « debout », dans son statut théâtral ; à défaut une moitié de la classe en demi-cercle face à l’autre auditrice.
Vu la difficulté pour des enfants de cet âge de percevoir l’ironie présente dans la voix didascalique, l’adulte prendra en charge la lecture des didascalies tout au long du texte, jusqu’à ce que cette distance ironique ait été mise en évidence. Il procédera à leur lecture, y compris « Première partie » « Un » etc., sans trop d’expressivité et sur un rythme assez lent, en marquant nettement la ponctuation, les passages à la ligne, pour donner à voir le décor installé et l’action ; pour donner aux élèves, le « la » d’une lecture proférée.
Le dialogue des scènes 3 et 4 sera lu par les élèves en relais, sur le principe du changement de lecteur à chaque réplique : le plus simplement possible mais en respectant la ponctuation, en faisant un effort d’articulation et d’une voix soutenue (comme si on poussait le texte devant soi).
On peut supposer que les élèves se seront d’abord intéressés à la fable. On procédera donc immédiatement à une seconde lecture, en leur demandant d’imaginer l’action sur une scène de théâtre. Comment mettre en scène ce texte ? Le recours à la marionnette ira de soi.

On enchaînera immédiatement la lecture de la scène 5 en lecture silencieuse.
Cette scène opère une certaine forme de rupture : l’espace décrit contraste par son réalisme conventionnel avec l’étrangeté de la vitrine du Marchand de bras sc. 4. Pour autant, l’univers insolite se poursuit avec ce « pain (qui) sort de la tête de Précair », l’ancien boulanger. C’est seulement là que la réalité sociale qui se cachait derrière la chute des bras de Précair nous est brutalement, explicitement, révélée : « Zalou : T’as perdu ton travail, c’est ça ?… T’as plus de travail ». Révélation du sens métaphorique du texte. Pour les élèves, cette scène constituera la résolution de l’énigme qu’auront constituée les 4 premières scènes ; et peut-être pour certains qui auraient refusé cet imaginaire, un intérêt naissant. On amènera alors la notion d’allégorie et de métaphore.
Après avoir fait l’inventaire des différentes atteintes physiques subies par Précair, on suscitera un débat interprétatif

  • sur le rôle de l’arbre : compagnon d’infortune (au double sens du mot ; sc. 4 Précair sans argent ne peut s’acheter que des bras en branches) ? figure du destin annonciateur de catastrophes ? élément créateur d’un effet théâtral : surprise comique qui prépare la chute du bras et crée un jeu de connivence avec le lecteur craignant les possibles chutes à venir. Si la branche n’était pas tombée, la chute du bras aurait-elle eu la même puissance d’étrangeté ?
  • sur la signification de ses pertes de membres, dans la réalité sociale d’aujourd’hui.
    On comprendra que l’auteur joue sur le sens de certaines expressions imagées, prises au pied de la lettre : les bras m’en tombent ; baisser les bras…

Expressions imagées et corps démantibulé

« Précair perd un bras réellement mais c’est en vérité une part de sa volonté qui ne s’accroche plus. C’est la traduction ; la métaphore se réalise… Ici le corps répercute, c’est l’écran, la jauge ; et ça hurle. Quelle puissance que ces marionnettes, qui meurent pourtant sitôt qu’on les lâche. » J. C

Le corps est dans toute l’œuvre de Jean Cagnard l’organe de perception du réel : de la sensation à la somatisation mais bien au-delà. Le corps dans tous ses états ! même ceux qu’on ne peut imaginer, comme on le verra dans le texte : corps tronqué, parties du corps qui vivent leur vie, corps recomposé, corps flottant, corps habité par des paysages, tout cela dans une sorte de surréalisme entre gravité et humour. Après avoir lu L’Entonnoir, on pourra mettre cet univers en réseau avec le poème de Jacques Prévert La grasse matinée, allégorie de la faim exprimée par une métamorphose du corps et montrer certains collages de Prévert ; avec Les petits bonhommes sur le carreau (voir Textes en réseau) On regardera aussi Bout de bois texte de l’auteur, illustré par Martin Jarrie.

Recherche orale ou écrite autour des expressions imagées du corps (donner un coup de main ou donner la main ; avoir le bras long ; être le bras droit de quelqu’un ; ne pas avoir quatre bras ; ne pas avoir les deux pieds dans le même sabot ; perdre pied ; perdre la tête ; avoir la tête vide…) :

  • sous forme d’exercice troué donnant l’expression et demandant le sens ou donnant le sens et demandant de trouver ou compléter l’expression.
  • sous forme de compétition par petits groupes, à celui qui en trouvera le plus, ce qui présenterait l’avantage de créer des rires, devant certaines expressions, dès qu’on les prend au pied de la lettre. Ambiance en accord avec l’esprit de l’auteur.
  • sous forme d’enquêtes auprès des parents et grands parents, moment de partage familial autour du langage vivant, ce qui n’est pas si fréquent.

On pourrait alors découvrir les dessins humoristiques qui ont pu en être faits dans les petits livres Les Idiomatics (voir Ressources) et ouvrir cette lecture à un travail pluridisciplinaire arts plastiques et langue étrangère, à la manière de.
À cette étape, après avoir sélectionné, parmi les expressions trouvées, celles qui pourraient être en rapport avec la situation de Précair, on recréera un horizon d’attente : à l’écrit ou l’oral, on imaginera ce qui peut arriver à Précair, « le héros » sans travail, et comment l’exprimer sous forme allégorique, à partir de ces expressions.