éditions Théâtrales Jeunesse

À demain
ou la Route des six ciels

de Jean Cagnard

Carnet artistique et pédagogique

LES PLANÈTES N’ONT PAS D’AILES

Parce que le monde est élastique, ici nous nous dirigeons vers l’endroit où l’homme agrandit le ciel. Ce n’est pas habituel. La marche naturelle impliquerait de se diriger plutôt là où il le rétrécit, vers les assombrissements. Radios, télé, journaux nous le démontrent chaque jour : faut que ça saigne à tous les étages ! On dirait que l’histoire de l’homme se retient plus facilement par ses blessures que par ses pontes, qu’il faut à la grandeur de la mémoire le rétrécissement humain. Ainsi il y a des matins insupportables, qui sont déjà des nuits et il ne faut pas considérer que la journée puisse exister un instant. Faut que ça cesse !

Alors ici l’idée est simple (mais révolutionnaire), c’est de dérouler une journée, du matin au soir, plus exactement du noir au noir, de celui qui précède l’éveil à celui qui précède les rêves. Plonger dans ce passage du temps parfaitement ordinaire et prodigieusement précieux qui scande nos excellentes vies terriennes…Les journées sont longues et la vie est courte, entend-on souvent. Même si l’incessante répétition peut en gommer l’originalité, la journée est tout de même l’unité de temps inventée par le cosmos pour réguler notre monde. Ce n’est pas rien. Respect ! La courbe du soleil dans le ciel : respect ! La courbe de la lune dans la nuit : respect ! Ce ne sont pas des danses immatérielles, pour la beauté du décor, de simples plongeons esthétiques, ce sont nos pulsations : une véritable dentelle, travaillée par le mystère et les entrailles d’une horloge fantastique dont les parois nous sont toujours inconnues. C’est tout à fait concret. Mais il est vrai que leur suspension dans le ciel, pratiquement irréelle (les planètes n’ont pas d’ailes), a tendance à nous configurer l’éternité elle-même. Et que peut-on faire face à l’infini sinon détourner les yeux pour s’occuper de nos petites affaires en cours ? Entre l’astronomique et l’intime, il est peut-être logique de rechercher naturellement l’échelle de nos pas sur le sol, afin de se préserver du vertige.

Mais la particularité de la journée avant tout, sa puissance, est qu’elle incarne le présent. Bien mieux que la seconde, la minute ou l’heure qui ne sont que des aménagements, des émissaires. De chaque côté, en dehors de ses frontières naturelles, on trouve les souvenirs ou l’imaginaire, qui en sont les émanations parfaites : passé et avenir, souvenirs et désirs. La journée est ce qui permet au temps de se construire un corps. C’est la graine perpétuelle…

Maintenant dérouler une journée n’est pas spécialement foudroyant. Les humains sont tous des spécialistes en la matière ! Merci, on connaît ! Ce qui l’est peut-être davantage c’est de mettre en scène son déroulement « cosmique », d’en appréhender les fréquences, voire de l’humaniser afin qu’elle nous redise la beauté de sa pensée, son époustouflante nécessité.

Créature vivante, ascendante et descendante, nourrie puis digérée, la journée commence par le matin (Pays Paupières), devient vite le milieu de la matinée (pays de Dix heures et Demie), puis midi (Pays du Solsoleil), suivi de près par l’après-midi (Pays Parfait), puis arrive le soir (Pays des enfants des horloges), enfin la nuit (Pays Plongeoir)…Six stations pour nos imaginaires. Nos yeux possèdent six paupières en vérité, et il convient de soulever chacune d’elles pour la traversée quotidienne du ciel. C’est en fait la journée du temps. Comment il voyage, comment il grandit, comment il vieillit, à travers ses métamorphoses successives. La journée de la lumière aussi, ses variations, comme un livre de verre sur une étagère obscure. Et ces éléments-là, temps et lumière, nourris des matières plus que jamais premières, air eau terre feu, se débrouilleront pour nous rappeler à nos joies, à nos qualités, à nos mystères, à la magie d’exister, à notre indécrottable poésie…

Il y a donc l’homme qui agrandit le ciel, au départ, puis qui cesse de l’agrandir, à l’arrivée, et sans qui le temps, il faut le craindre, ne serait qu’un mince couloir. Il faut supposer que nous lui devons beaucoup dans le déploiement de nos journées. Nous lui devons aussi les premiers mots de l’humanité : Bonjour et Bonne nuit. Parce que cet homme-là nous veut du bien et qu’il est poli.