éditions Théâtrales Jeunesse

Au pont de Pope Lick

de Naomi Wallace

Carnet artistique et pédagogique

On peut demander aux élèves, en étudiant plus particulièrement certaines scènes, de dresser le portrait de Dalton et de Pace et de leurs relations, mais aussi d’analyser comment ces portraits sont établis par l’auteur.

On pourra relever avec les élèves les différentes façons dont les personnages existent dans la pièce :

- Le personnage agit et parle sous nos yeux.

- Les personnages existent dans ce qu’on dit d’eux quand ils sont là ou quand ils sont absents.

- Les personnages se définissent parfois eux-mêmes à travers leurs propos.

Cependant, ce qui est dit n’est pas toujours accompli ensuite, la parole existe comme un révélateur de la psychologie des personnages. À l’exemple des pages 43, 44 et 45, on parle d’agir lorsque le train passe mais on ne le fait pas. La parole fait exister plus que les actes.

On parle d’un sujet alors qu’un autre sujet est sous-jacent au discours : Pace parle de train à la mère de Dalton pour ne pas parler de sa relation avec lui et c’est un objet en rapport avec le train qu’elle offre lors de sa visite chez eux. De même, par le biais de la métaphore, certains objets ou certains gestes sont en décalage par rapport au contenu des paroles ou expriment métaphoriquement ce que la parole exprime difficilement ou mal. Aux pages 88 et suivantes, les relations entre le père et le fils ne sont pas simples alors que les plumes d’un oreiller volent doucement dans l’air comme l’expression d’une douceur perdue. Les mêmes plumes sont présentes lorsque Dalton raconte l’accomplissement de son amour pour Pace à la page 105.

Cela rejoint la volonté de changer de vie évoquée par exemple page 46 par les deux jeunes. Les adolescents-lecteurs y retrouveront une de leur problématique quotidienne liée à la vision de leur bonheur immédiat (vivre avec des sensations) et de leur futur (refuser une vie monotone). Le train, du Pont, symbole de vitesse et de voyage, est lui-même la métaphore du désir de vivre fort et vite et de rêver à un ailleurs.

Par ailleurs, dans les actes et les paroles, Pace se révèle être un personnage redoutable : la course du pont est un défi, une sorte de pari que la jeune fille lance à Dalton, expression de sa violence et de l’ascendant qu’elle a sur Dalton. Une certaine complexité s’installe aussi dans les rapports amoureux (ou affectifs tout au moins) qui règnent entre les deux personnages : elle prend les initiatives des contacts et des propos concernant l’évolution ou non de leurs relations alors que Dalton semble lui tout simplement amoureux.

Ce fil rouge de la définition de leur relation peut se définir comme un des objectifs de lecture de la pièce tant leurs rapports sont complexes ainsi que la nature de leurs actes l’un vis-à-vis de l’autre. Il peut être intéressant pour les élèves de relever quelques passages-clés où eux-mêmes sont en scène ou bien ceux où l’on parle d’eux. Des débats peuvent naître sur la compréhension aussi de l’acte que commet ou non Dalton. Que s’est-il passé entre eux qui mette fin à tout ? Une lecture attentive de la scène 7 donne enfin la clé de leur histoire : « je veux parler maintenant » dit Dalton en prison à la page 101. S’en suit un long monologue (page 105) à l’issue d’une scène jouée pour nous en direct grâce à une nouvelle apparition « post-mortem » de Pace. De même prendra place à la toute fin de la pièce une scène d’amour onirique qui peut interroger les élèves : l’amour ne peut-il se réaliser que dans la mort de l’autre et donc de manière totalement irréelle ? La relation des parents de Dalton est le pendant réaliste de l’amour et montre comment la relation amoureuse se décline tout au long de la vie et des épreuves qu’elle réserve. La vanité des actes adolescents renvoie aux difficiles conditions de vie et de travail des adultes.

Le personnage de Pace recèle en lui ses pulsions de vie et de mort, exacerbées au moment de l’adolescence et auxquelles elle laisse libre cours dans les rencontres avec Dalton au pont. Le défi du jeu du train est la métaphore d’une vie plus intense dans laquelle il faut se réaliser en toute liberté. Or l’amour et l’affectivité sont plutôt présentés sous le joug de la contrainte dans la relation entre les deux jeunes gens (la relation des parents en est un pendant différent vu du côté adulte). Chez Pace et Dalton, le sentiment amoureux est lié au sexe dans ce qu’il contient de violence et de contrainte pour l’autre. On trouvera plusieurs scènes dans lesquelles l’expression physique de l’amour est présente dans le détail et l’objet-même du dialogue. On pourra remarquer que c’est le personnage féminin qui prend l’initiative de ces relations qui resteront inabouties faisant monter la frustration, l’attente et le désir chez l’autre.
Attente, frustration, transgression, pulsion d’amour et de destruction sont présents chez l’un comme chez l’autre des deux jeunes personnages.