éditions Théâtrales Jeunesse

« Il y avait bel et bien un zoo à côté du camp de concentration de Buchenwald. Le premier commandant du camp, Karl Koch, l’avait fait construire au printemps 1938 par les prisonniers, juste à côté de la clôture électrique du camp, dans le but d’offrir aux membres SS et à leurs familles « une distraction et un divertissement pendant leur temps libre et de montrer la beauté et les particularités de certains animaux qu’ils n’auraient autrement guère eu l’occasion d’observer et de connaître dans la nature ». L’enclos, y compris le parc des ours, avait été conçu par les experts du zoo de Leipzig, qui avaient probablement aussi fourni certains des animaux.
On sait peu de choses aujourd’hui sur l’histoire du « Jardin zoologique de Buchenwald » et de ses habitants. Les récits de témoins oculaires et les photographies qui existent font référence à des cerfs, des sangliers, des canards, des cygnes noirs australiens, une famille de babouins et environ quatre ours, dont l’un aurait été un cadeau personnel du Reichsmarschall Hermann Göring aux SS de Buchenwald. Au début, il y avait même un rhinocéros, écrit Egon Kogon, prisonnier de longue date et chroniqueur du camp. Dans son ouvrage de référence « Der SS-Staat (L’État SS) » il explique que lui, comme la plupart des prisonniers, n’était pas autorisé à entrer dans le zoo. Les seules exceptions étaient les prisonniers chargés de s’occuper et de nourrir les animaux, ainsi que ceux qui devaient transporter les morts vers les baraquements mortuaires de fortune situés près de l’enceinte. « Une idylle de vie paisible », c’est ainsi que le portier mortuaire Karl Barthel décrit le contraste entre ce côté et l’autre de la clôture du camp dans son livre « Welt ohne Erbarmen (Un monde sans pitié) ». « Les animaux sont en effet très bien lotis à Buchenwald ! Mais à deux minutes de là, des gens habitent un lieu, non pas parce qu’ils le veulent, mais parce qu’ils y sont obligés. Des centaines d’entre eux y meurent d’effondrement, de typhus abdominal, de dysenterie, de malnutrition, etc. Ils sont traqués, battus, assassinés. »
Dans les archives du mémorial de Buchenwald, on m’a montré la seule copie existante, écrite et dessinée à la main, du livre d’images « Une chasse à l’ours dans le camp de concentration de Buchenwald ». Idylle tragicomique, dans laquelle le prisonnier Kurt Dittmar raconte l’histoire de l’ours « Betti » en 1946. Après une tentative d’évasion, Betti affronte le sadique Schutzhaftlagerführer Arthur Rödl, qui l’abat avant de le servir comme rôti aux SS du camp qui célébraient l’événement.
De nombreux rapports de détenus survivants des camps de concentration, par exemple dans les écrits ou la vie de Jorge Semprun, mentionnent que peu après la construction du crématorium du camp en 1940, juste en face du zoo, il n’y avait plus d’oiseaux dans la forêt. Certains des habitants du zoo seraient morts en peu de temps à cause de l’effroyable puanteur permanente. Hans Berke l’a également affirmé un an après la libération dans ses mémoires du camp de Buchenwald. « En mémoire à des meurtriers ».
On ne sait rien de la fin du zoo. Il n’est pas mentionné dans les innombrables récits, parfois très détaillés, de la libération du camp le 10 avril 1945 par l’armée américaine. Il est probable que les animaux aient été victimes des précédents bombardements alliés ou aient été déplacés à un autre endroit. En 1994, des parties du zoo enterrées et envahies par la végétation ont été mises à jour et sont à nouveau accessibles aujourd’hui.
Il est documenté que le zoo de la clôture du camp était populaire non seulement auprès des membres SS et de leurs familles (par exemple, il existe plusieurs photos de famille de Karl Koch et de son fils Artwin, né à Buchenwald, visitant le zoo), mais aussi auprès des civils de Weimar, à huit kilomètres de là. Cette circonstance a été le véritable déclencheur de la rédaction de cette pièce. Il ne s’agit pas d’une pièce sur le camp de concentration de Buchenwald - il est probablement impossible d’écrire une pièce à ce sujet - mais d’une pièce sur la question suivante : ours ou babouin ? »

Jens Raschke