éditions Théâtrales Jeunesse

Le décor, qui pourrait rappeler une maquette d’architecture, est composé d’éléments sobres faits de couches de carton superposés. Les divers éléments du dispositif peuvent être déplacés et empilés les uns sur les autres comme un système modulaire. De simples cadres métalliques avec des grillages fantaisistes et perméables de part et d’autre de l’espace forment un univers visuel dans lequel l’imagination du public est stimulée et l’environnement devient tantôt une clôture, un train, une cheminée ou encore une forêt. À travers cet univers scénique où décor et costumes sont davantage évocateurs, la pièce explique ce qui est nécessaire, mais laisse suffisamment de place à l’imagination et permet ainsi différentes lectures. Elle ne touche pas seulement le jeune public. La gravité de la thématique est amenée de manière subtile et sensible, tant par la mise en scène que par l’interprétation des comédien·ne·s.
Les acteur·rices sont à la fois interprètes et narrateur·rices. Le plaisir du jeu des acteur·rices ainsi que la manipulation ludique, rythmique, précise et virtuose de cette forme scénique est au centre de la mise en scène. L’histoire est racontée du point de vue des animaux, ce qui jette un regard différent sur le monde.
Les animaux du zoo racontent, décrivent et négocient les événements en direct et réagissent de leur point de vue d’animaux. À plusieurs reprises, ils s’adressent directement au public, ce qui crée une relation spéciale et intime entre les artistes sur scène et la salle, qui est littéralement aspiré dans l’histoire.

Notes de contenu et dramaturgie - Regarder ou détourner le regard

"La pièce nous fait tous réfléchir à ce que nous pouvons faire lorsque la dignité humaine est piétinée de l’autre côté de la clôture. Une pièce qui vous encourage à regarder et à ne pas rester en dehors. De manière ludique et très humoristique, elle traite des problèmes sociaux et des comportements humains importants : courage civil. Détourner le regard ou regarder ? Agir ou garder le silence ? Injustice et comment se comporter. En tant que sujet secondaire, la récente capture du petit ourson incluent également le thème « être attrapé », « être en fuite », « être séparé de sa famille, en fuite ».

Les personnages des animaux stylisent et transportent le comportement humain sans le psychologiser pour autant, ils permettent l’abstraction. Ils s’offrent ainsi en tant que figures d’identification idéales au spectateur et ils vous permettent de vivre l’histoire de manière personnelle, mais aussi, dans un même temps, de la garder à distance. Cette pièce est semblable à un conte, elle permet de la même façon que le spectateur imagine les situations violentes dans la mesure du tolérable, selon son imagination personnelle.

La forme dramaturgique que Jens Raschke a choisie met les narrateurs·trices (premier, deuxième, troisième, quatrième) au centre, cela crée immédiatement une petite distance à l’action et permet de basculer par des sauts entre le niveau narratif et le niveau d’action de façon ludique et virtuose. Nous entrons et sortons de l’histoire, pour ainsi dire, en regardant les personnages des animaux avec leur comportement « animal », qui nous rappelle tellement notre comportement humain que nous devons parfois rire et sourire. Est-ce que je reste passif et surtout m’adapte pour que je puisse continuer à manger ? J’essaye juste de sauver ma peau pour survivre ? Ou alors - est-ce que je pose des questions dérangeantes et est-ce que je garde les yeux ouverts si quelque chose arrive que je ne comprends pas ou que je ne peux pas classer, comme le fait l’ourson dans la pièce ? Grandes questions de comportement moral, tant pour les adultes que pour les adolescent·e·s.

Cette forme scénique permet un éventail de lectures complexes et différentes pour le public à plusieurs niveaux. Le public adulte associera les références historiques concrètes au contenu fabuleux de la pièce tandis que, pour le jeune public, ce sera avant tout l’occasion de mener une réflexion sur l’injustice et la justice et de se confronter au conflit moral auquel nous sommes aujourd’hui encore et toujours exposés, à travers l’histoire et les animaux de l’histoire.

Jens Raschke nous parle avec humour et légèreté, à travers un langage élégant, des dialogues pleins d’esprit loufoque et des situations parfois presque absurdes. Il crée parfois des images amusantes, voire carrément marrantes.


Juillet 2020, phase de conception de la pièce

Jens Raschke me touche. Il confronte le l’Homme à travers le théâtre. Raschke parle d’un monde où l’irréparable a été commis. Il pose un regard cinglant sur l’inquiétude, la solitude, l’hostilité, le repli sur soi et l’ambivalence des rapports de force chez l’Homme conditionné.
Ce qui m’intéresse particulièrement dans « Ce que vit le rhinocéros lorsqu’il regarda de l’autre côté de la clôture », c’est que cette pièce fait appel à notre courage civile, au-delà du contexte historique.
Il ne s’agit pas d’un camp de concentration, mais, comme le dit l’auteur lui-même, de la question de savoir s’il faut détourner le regard ou pas.
Ce sont les animaux du zoo qui regardent le monde humain et qui, avec leur nature amusante, font appel à notre esprit critique.
Avec un humour naïf et très tendre, l’auteur opère des glissements qui conduisent progressivement à quelque chose d’indicible et qui soulèvent de nombreuses questions : comment ouvrir les yeux sur le monde ? Comment devons-nous réagir lorsque nous constatons que quelque chose ne va vraiment pas de « l’autre côté de la clôture » ? Pour moi, de nos jours, où cela ne va pas du tout ?

Quant à l’univers général de la pièce : j’aime provoquer chez le/la spectateur·rice une sensation d’inimitié, ici, le public se trouvera plongé au milieu d’un zoo habité par ses animaux étranges, au comportement social conditionné. Il assistera à divers échanges entre les animaux, comme s’il regardait par le trou de la serrure ou qu’il était une mouche qui se promène parmi eux.

Pour l’esthétique et le « ton général » de cette mise en scène, je m’inspire de l’univers cinématographique du réalisateur Tim Burton (surtout pour la blessure des personnages) ainsi que de l’univers tendrement simpliste de l’artiste peintre et illustratrice parisienne Anastassia Elias, qui s’est, entre autres, amusée à découper dans du carton des personnages, des animaux, ou des objets, qu’elle a ensuite mis en scène dans des rouleaux de papier toilette.
Je cherche à produire une sensation d’exiguïté qui déborde sur le public. Avant tout, je mets en évidence le jeu des acteurs : choralité, stress, étouffement, folie, tensions entre les personnages, drames, compositions et humour naïf.
[...]
La question de la choralité, depuis une dizaine d’années tout particulièrement, se retrouve, comme dans la danse ou la musique, au centre de nombreuses pratiques de la scène. Pour moi, le principe choral interroge la troupe, l’assemblée théâtrale, la cité, la communauté et ses différentes manières de s’affirmer sur un plateau. Au-delà des enjeux esthétiques et des recherches formelles que le modèle choral implique, il se charge d’interrogations politiques fondamentales. Chez Raschke, ces choralités se donnent pour horizon une unité qui n’effacerait pas les différences, mettant en jeu les deux faces d’une question essentielle : comment être ensemble tout en restant singuliers et différents ? J’entraîne les actrices/acteurs à devenir tantôt un ensemble indissociable, comme « une seule voix » et l’instant d’après à incarner les protagonistes de la pièce. Il s’agira d’un travail presque « musical », comme on le ferait avec un orchestre, avec pour but que les actrices/acteurs atteignent une dextérité virtuose dans le passage de la forme chorale au dialogue entre personnages.

Le rythme irrespectueux de la parole
Dans une discussion agitée, nous parlons souvent tous en même temps. Notre esprit va plus vite que le débit de parole de notre interlocuteur et nous savons déjà ce que nous allons répondre, avant même la fin de la phrase en cours. Il s’agit là d’une énergie, d’un rythme de la parole que nous retrouvons fréquemment dans les débats politiques, par exemple, où les esprits sont aux aguets, d’attaque et où la parole fuse. C’est cette énergie de « débat » que je cherche à reproduire sur la scène. Une parole rapide et vive, quasiment irrespectueuse ! Mon travail de recherche sur le rythme tend à bousculer le texte et les mots, à leur permettre de se chevaucher, de se concurrencer. De cette façon je tente de rendre la réplique de théâtre à la vie, d’inviter l’accident et finalement de mettre en valeur l’incompréhension de l’autre. Pour moi le dialogue théâtral se doit d’être une sorte combat perpétuel.


Visuel-Décor

Je n’ai pas l’intention de figurer le récit de façon réaliste. Le camp de concentration et le contexte historique sont pour moi un prétexte pour parler de notre capacité à prendre position. J’installe les spectateurs.trices face à un visuel sobre et contemporain et les invite dans un univers qui stimule d’avantage leur propre imagination. (...)


Matières

Nous allons travailler avec du bois, du carton et du papier déchiré. Ces matières unies et très sobres permettront d’être travaillées/sculptées, déchirées, peintes en direct par les actrices et acteurs. Ces matières serviront aussi à représenter la tendresse et la fragilité des situations et personnages.

Julien Schmutz, Fribourg