éditions Théâtrales Jeunesse

Cent culottes et sans papiers

de Sylvain Levey

Carnet artistique et pédagogique

Aucune tranche de vie ne ressemble à une autre, chacune a sa théâtralité propre, le plus souvent hétérogène, mêlant description à la manière d’un récitant, dialogue sans origine précise et/ou sans adresse, dialogue clairement originé et adressé, appui sur des jeux d’enfant choraux (Am-stram-gram…, marelle, papier-ciseau).

Consigne donnée aux élèves : comment peut-on appeler l’ensemble des tranches de vie ?

Le texte de la pièce est donc un montage, un assemblage : plus précisément c’est un tissu, pour reprendre le vocabulaire si bien adapté de Barthes, de petits fragments de longueurs variées dont chacun donne lieu à une tranche de vie. Celle-ci est parfois descriptive ou, à l’inverse, très narrative ; d’autres fois elle se fait monologue (cf fragment 13) ou au contraire très dialoguée (cf fragment 11)

Dans tous les cas, le fait qu’il n’y ait pas d’origine à la parole la rend paradoxalement très monstrative* : le lecteur peut avoir l’impression que l’auteur lui offre à voir, à imaginer, très simplement, ce que lui-même a pu observer ou imaginer.

Bilan sur la monstration : p. 505 de À la découverte de cent et une pièces.

La main semble se tendre et servir de relais entre le réel et le lecteur. Cette dramaturgie porte donc aussi une éthique théâtrale et littéraire, comme un message sur ce que peut être toute communication humaine, à l’inverse de l’expulsion des enfants sans-papiers, sujet de la pièce. On peut dont en conclure que la forme s’adapte à son sujet et que l’on a ainsi une dramaturgie performative*, qui fait ce qu’elle dit.

Consigne donnée aux élèves : Quel sens peut-on donner à cette construction dramaturgique ?

Il est bien difficile de faire état de tous les thèmes, souvent en écho, qui sillonnent ce texte, le labourent et l’ancrent dans la réalité moderne et contemporaine la plus simple et la plus universelle à la fois, pour faire de nous des témoins interpellés. On y sent se développer une sorte de poésie politique (ce que Cormann nomme le poélétique), une passion pour l’humanité ordinaire et l’absurdité des expulsions d’enfants qui nous emporte jusqu’au point d’orgue qu’est le dernier fragment : les quatorze pages qu’il occupe donnent la mesure de l’ampleur qu’il pourra prendre sur scène, reposant sur un souffle lyrique qui n’est pas sans rappeler celui des romantiques ou des auteurs de la révolte moderne. On sent leur présence, de ci, de là, du Napoléon le petit de Hugo à L’Homme révolté de Camus en passant par Le Cancre de Prévert.

Mais il ne faudrait pas croire que le seul sujet de cette pièce soit l’expulsion des enfants immigrés. Ce serait la réduire à un thème alors qu’elle est un chemin. Le regard qui l’amorce est celui de l’adulte, du père, de l’ancien enfant qui se penche en arrière pour mieux se pencher en avant :

Il faut fermer les yeux à présent
Et toucher la pierre
Se coller à la pierre
Caresser la pierre avec la paume de sa main
Gratter la pierre avec ses ongles
Jusqu’au sang
Il suffit de décoller la couche des années qui passent (p. 71)

Se pencher en arrière en effet ne veut pas dire se livrer à une nostalgie facile, l’enfance est clairement reconstruite, le regard est plein d’humour et de tendresse dénonciatrice, tourné vers le futur, interrogeant ainsi la devise nationale pour mieux en chanter les vertus et les rappeler à l’ordre de la conscience. Dans un texte inédit, L’histoire d’un clic, Sylvain Levey écrit ceci :

Comment mettre en scène ce texte ? Toutes les entrées sont possibles, du théâtre d’objets bien évidemment (ou de vêtements !), un dispositif plastique, une mise en onde avec casque pourquoi pas, une troupe d’acteurs aussi c’est un axe intéressant un seul acteur ou une seule actrice seule sur une chaise face public sans rien d’autre que elle et le texte. Une seule porte est fermée, celle qui ouvre sur le chemin de la nostalgie. Il ne faut pas se laisser piéger par le côté « les doigts plein d’encre » avec tout le respect que j’ai pour le photographe Robert Doisneau. C’est avant tout un texte politique qui replace le jeune lecteur spectateur acteur à l’endroit où il se trouve, c’est à dire début du vingt et unième siècle avec une histoire avant, une histoire pendant une histoire après lui. (Le texte complet est présent dans la partie Environnement artistique du texte)

Cela ouvrirait la voie à des travaux interdisciplinaires intéressants, entre Histoire, Français, Éducation à la citoyenneté et travail plastique.