éditions Théâtrales Jeunesse

Costa le Rouge

de Sylvain Levey

Carnet artistique et pédagogique

– Papa, Thomas, tout d’abord merci à vous deux d’avoir accepté ce petit entretien entre nous, cette petite interview. Papa, tu viens de lire Costa le Rouge. Alors ?

– Je l’ai même lu deux fois ! J’aimerais l’entendre dit par des acteurs maintenant.

– J’ai longtemps hésité avant d’utiliser le mot « papé » pour désigner le grand-père de cette fable parce que le vrai papé pour mes deux enfants, c’est toi ! Et que ce papé-là, le papé de Costa, c’est toi sans être toi, Costa quelque part c’est moi, mais pas vraiment, un petit peu quand même, et que le papé de Costa il est mort en plus et que moi je ne veux pas que tu meures, c’est compliqué le théâtre, tu ne trouves pas ?

– Oui !

– Si je te dis que ce texte est un hommage à un homme qui a marqué mon enfance, tu peux me donner un ou des noms ?

– Ce n’est pas une femme ?

– Non ! Il y a beaucoup de femmes qui ont marqué mon enfance bien sûr, mais ici c’est un homme.

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– Platini ? Hinault ?

– Ce n’est pas un sportif, même si le sport a été fondateur pour moi.

– Je ne vois pas.

– Je te donne la réponse. C’est Auguste Chrétienne. Tu peux nous en dire plus sur cet homme ?

– Je ne savais pas qu’Auguste Chrétienne t’avait tant marqué. Auguste Chrétienne a été le maire de Sartrouville pendant six mandats, tu te rends compte ! Auguste Chrétienne moi aussi m’a beaucoup marqué par cette volonté de servir les plus démunis, il était (car il est décédé) et restera pour moi le symbole de l’abnégation politique, de la politique au sens premier du terme, quand la politique n’était pas un métier mais un engagement, un vrai, quand chaque décision n’était pas motivée par une élection prochaine mais par le souci de savoir si cette décision était juste ou pas pour la collectivité. Je pourrais ajouter à cette liste Pierre Mendès France ou Georges Séguy qui, malgré les sarcasmes et les ironies, était un homme intègre ; à titre privé, j’ajouterais aussi ma mère nourricière et monsieur Milon, directeur du collège de Corlay.

– Et Badinter ?

– Aussi, oui.

– Et toi Thomas, du haut de tes quatre ans ? Le héros de ta petite enfance ?

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– Robin des bois. Mais des fois c’est Peter Pan.

– Et moi, à l’adolescence, beaucoup de poètes et d’écrivains, et toutes les grandes figures révolutionnaires, je les ai eues en poster dans ma chambre. Tu peux nous dire, papa, ce que cela veut dire pour toi, être engagé ?

– Être engagé c’est être convaincu de ce que l’on veut défendre. C’est avoir un cap. Le garder encore et encore. Bien sûr il faut nourrir sa pensée et elle évolue au fur et à mesure. Elle se tord, elle travaille, elle se durcit ou s’assagit, mais il doit y avoir une ligne directrice forte.

– Tu y as cru au communisme ?

– Je crois avoir construit ma vie sur la notion de générosité. Quand je dis générosité, rien à voir ici avec le fait de donner quelques pièces jaunes une ou deux fois par an pour se donner bonne conscience, je parle d’un engagement citoyen dans toutes sortes d’associations et ma volonté de toujours transmettre les valeurs du collectif aux plus jeunes. Je ne sais pas si je suis ou si j’ai été communiste, mais je crois en tout cas aux valeurs de mise en commun.

– Thomas, peut-on dire que Robin des bois est un communiste ?

– C’est surtout un renard, papa, je peux regarder un DVD ?

– Et l’utopie, papa ?

– Papa, je peux regarder un Walt Disney ?

– C’est quoi pour toi qui as soixante-six ans à l’heure où nous parlons ?

– Je ne sais pas si à soixante-six ans on peut encore parler d’utopie.

– Il n’y a pas d’âge pour être heureux !

– C’est vrai ! Je pense que l’utopie permet de garder une lueur d’espoir et de penser un monde meilleur. Je parle de la mienne, d’utopie !

– J’ai dédié ce livre « à ceux et celles qui n’ont jamais cessé ou ne cesseront jamais de trembler », petite liberté que j’ai prise avec une chanson de Noir Désir qui continue avec ces mots : « C’est comme ça que je te reconnais. » Dans quelle chanson, toi, tu te reconnais ? Dans quel événement historique ? Dans quel artiste ? Sportif ? Intellectuel ? Homme historique ?

– Je ne me suis jamais vraiment identifié à un artiste, encore moins à un homme politique. J’ai été assez bouleversé par la capacité du cycliste Laurent Fignon à accepter la maladie et à attendre la mort avec une grande lucidité. J’ai un regard bienveillant sur les activités du footballeur Lilian Thuram et j’ai aimé son comportement durant son parcours de joueur. J’ai beaucoup aimé et j’aime encore Jean Ferrat qui savait trouver les mots pour nous faire réfléchir et savait être libre de pensée. Et un événement je dirais, mai 1968 quand même !

– Et toi, Thomas, un chanteur ?

– Thomas Fersen, comme toi.

– Un événement historique ?

– L’élection de Barack Obama, mais j’étais un peu petit.

– Un sportif ?

– Les cyclistes du Tour de France, comme papé.

– Un intellectuel ?

– Ratatouille, Pocoyo, l’âne Trotro et les Aristochats.

– Je te connais par cœur, papa. Presque. Tu as dû relire le texte une deuxième fois, entre une partie de pétanque et une balade sur ta chère plage des Rosaires, dans les Côtes-d’Armor. Si tu devais retenir une phrase ou un passage du texte, ce serait laquelle ou lequel ?

– J’aime bien l’idée d’organiser un barbecue le jour de son incinération. C’est quelque chose que je pourrais facilement dire dans mon entourage !

– Tu peux dire quelque chose de ton choix en quelques mots aux jeunes et moins jeunes lecteurs qui viennent de lire Costa le Rouge ?

– Faites vos choix ! Assumez-les ! Même si la société aujourd’hui ne laisse pas beaucoup de place aux initiatives en décalage avec la notion de rentabilité. Il n’y a qu’à voir la galère de tous tes ami(e)s intermittent(e)s du spectacle.

– Allez, dernière question : ça fait quoi d’être grand-père ?

– Être grand-père, c’est compliqué, car on est toujours un peu tenté d’inculquer des valeurs, des orientations, des idées, des schémas qui ont été les nôtres. La difficulté consiste à admettre que ce sont nos petits-enfants et non nos enfants ! Être grand-père, c’est aimer très fort aussi.

– Thomas, tu l’aimes comment, ton papé ?

– Comme cent cinquante-deux rhinocéros.

– Papa, si je te dis : on n’est pas d’accord sur tout, mais je t’aime, tu dis quoi ?

Non : ne dis rien.

Ouvrons la fenêtre de la maison et profitons tous les trois encore quelques années de la mer qui s’offre et se cache suivant l’heure de la journée.