éditions Théâtrales Jeunesse

L’Abeille

de Matt Hartley

Carnet artistique et pédagogique

L’Abeille évoque l’amitié chez les adolescents et le bouleversement dans les rapports entre jeunes gens qui a été provoqué par les réseaux sociaux. Certains personnages de la pièce sont les symboles des différentes réactions que peuvent susciter ces contacts virtuels :

  • Chloe, la jeune fille en deuil, a très peu d’amis virtuels et elle ne comprend pas cette soudaine popularité qui lui semble superficielle. Elle ne cherche pas à augmenter son nombre d’« amis », elle fait partie de ceux qui se tiennent à l’écart, pour elle Facebook est un moyen et non une fin en soi ;
  • Sophie, au début de la pièce, fait une demande d’amitié auprès de Chloe car elle ne peut pas concevoir qu’une personne de son âge ne cherche pas à avoir le plus grand nombre d’amis possible ;
  • Le positionnement de Hannah se situe quelque part entre celui de Chloe et de Sophie : elle n’oublie pas de fréquenter Chloe dans la vie réelle et comprend bien les déceptions que les réseaux sociaux peuvent engendrer ;
  • Jacob symbolise un usage des réseaux sociaux souvent occulté : ils permettent de rencontrer, à travers des échanges sincères, d’autres personnes. C’est ce qui se passe entre Chloe et Jacob, à l’opposé des « amis » numériques. (On verra toutefois que le comportement de Jacob pourra être interprété de différentes façon selon les lecteurs.)

Ces quatre personnages sont des supports à une réflexion sur l’utilisation faite par les élèves des réseaux sociaux, ou sur l’utilisation que les élèves font des réseaux sociaux. Cela peut passer par des exercices d’improvisation ou d’argumentation (à l’écrit ou à l’oral). On peut par exemple leur demander d’expliquer pourquoi ils ont peur, ou à l’inverse pourquoi ils sont fans des réseaux sociaux. Ou leur donner la consigne suivante : « Vous devez convaincre quelqu’un de changer son comportement numérique… »

Jacob, l’ami silencieux de Chloe, introduit plusieurs notions dramatiques, comme le statut de la parole et du silence sur scène (un personnage doit-il forcément parler ?), ou la présence sur scène (comment donner de l’importance à une silhouette sans prononcer un mot)…

Jacob semble être le seul à écouter vraiment Chloe. Pour étudier le comportement des autres personnages, on pourra commenter, de façon collective à l’oral, ou individuellement à l’écrit, cette réplique et les termes dramaturgiques employés par l’auteur : « plus ils sont proches de moi, plus ils sont proches de Luke et ça rend leur rapport à la tragédie un peu plus spectaculaire. Et tout le monde veut une histoire tragique pour pouvoir en régaler ses amis » (p. 45-46).

Jacob est donc un soutien émotionnel pour Chloe face au deuil : elle ne peut pas parler de Luke avec son entourage. La sincérité des échanges entre Jacob et Chloe les amène à développer une amitié, amitié qui se transforme peu à peu en amour. Le changement de mode de relation est le point final de la pièce, avec une didascalie qui laisse entendre que la souffrance du deuil s’apaise un peu pour Chloe. Mais Jacob existe-t-il vraiment ? Il serait intéressant de poser la question aux élèves, afin de croiser les différents points de vue.

Si Matt Hartley rappelle que l’histoire de Jacob est racontée dans le texte L’Oiseau, et que le personnage est normalement bien réel, il ajoute toutefois que « si l’on s’en tient à L’Abeille, Jacob a été conçu pour être ambigu, dans la mesure où, dans la réalité, dès lors qu’on entretient des relations en ligne, se pose toujours la question : sommes-nous tels que nous nous présentons ? Au public, et aux lecteurs, de choisir de croire que Jacob est réel, comme le fait Chloe, ou de l’envisager comme une présence machiavélique. »

Reste que Jacob semble bien réel, et toujours selon l’auteur, « le parcours de Chloe est plein d’espoir. Elle trouve quelqu’un dont elle a l’impression qu’il la comprend et l’aide à surmonter son chagrin, à faire son travail de deuil, et à s’accepter dans la société. C’est l’amour qui est au cœur de ce voyage, de ce parcours, et qui est le réel moteur de la pièce. »

Le fait que Chloe ne trouve un confident que grâce aux réseaux sociaux laisse imaginer que la jeune fille affronte une solitude terrible. Certaines répliques sous-entendent qu’elle envisage de suivre son frère dans la mort et que Jacob, selon ses réponses, l’encourage à cela (voir en particulier les pages 62-63 et 70). Jacob, selon l’interprétation de chacun, peut alors être vu comme une sorte de manipulateur, un prédateur sur les réseaux sociaux. « [L’amour entre lui et Chloe] est réel, sincère, dangereux et passionnel, il est ancré dans la vérité. Est-ce une manipulation ? Cela doit demeurer ambigu, mais pas parce qu’elle serait jouée comme telle, mais à cause de notre scepticisme naturel à l’égard des motivations de chacun », d’après Matt Hartley.

Les deux adolescents ont fui, mais vers où ? Vers une autre ville, un autre pays, ou vers la mort ? Avec cette fin ouverte, l’auteur a décidé de montrer, aussi, la capacité qu’ont les adolescents à dépasser les épreuves.

Afin d’aller plus loin dans l’exploration du thème de l’amitié au théâtre, on peut donner à lire des textes qui mettent en scène « une véritable constellation théâtrale […] un personnage mineur dans une pièce devient le héros d’une autre » (Marie Bernanoce, Vers un théâtre contagieux, éditions Théâtrales, coll. « Sur le théâtre », 2012, p. 431). Selon le niveau des lecteurs, il est possible de répartir les pièces entre les élèves et de les faire travailler en groupe à une présentation du texte au reste de la classe.