éditions Théâtrales Jeunesse

L’Apprenti

de Daniel Keene

Carnet artistique et pédagogique

Au théâtre, on nomme dramaturgie la manière dont une pièce est construite, ou l’étude de cette construction (la personne qui réalise cette étude étant le ou la dramaturge). Étymologiquement, drama signifie "action". De la même manière, un acteur ou une actrice est quelqu’un qui agit sur un plateau. L’étude dramaturgique que nous allons mener va donc consister à comprendre comment ce texte est construit et à y relever tout ce qui peut pousser les acteurs et les actrices à agir.

Comme évoqué plus haut, le texte a une place prépondérante pour Keene. Les personnages de la pièce naissent du texte, de la parole. Ils existent avant tout parce qu’ils parlent. On pourrait en effet résumer la pièce en la décrivant comme un grand dialogue entre un homme et un adolescent. Au cours de cet échange, Pascal et Julien parlent de leur vie, et s’interrogent sur des points plus philosophiques. En ce sens, la pièce fait écho à une certaine tradition qui remonte à Socrate : la maïeutique (l’art de faire accoucher les idées). La maïeutique est un véritable moteur dramaturgique pour cette pièce.

À titre d’exemple, étudions la première scène de la pièce, la scène d’exposition. Cette scène fournit des éléments d’information qui permettent d’entrer dans le texte (noms des personnages, situation, intrigue, etc.).

Dans le texte :

La didascalie présente d’emblée la situation : un enfant va voir un homme et fait connaissance avec lui.

La scène présente les personnages, donne des éléments d’information à leur sujet. Les élèves peuvent lister ces informations. Les personnages se connaissent-ils ? Quels sont leurs noms ? Quels sont leurs traits de caractère ? Etc.
Ces informations sont livrées par les personnages dans leurs répliques. On peut alors se demander pourquoi ils les livrent, et comment ?

Les deux personnages ont des objectifs contradictoires. La tension créée par cette opposition se règle sur le terrain de la langue. En effet, Pascal le dit dès sa deuxième réplique : il fait « Des mots croisés ». Cette activité peut se lire de deux manières. On remarque dans un premier temps le sens le plus évident, le sens propre, qui renvoie au jeu sur le journal de Pascal, pour lequel Julien est particulièrement doué. Dans un second temps, on peut y trouver un sens figuré : comme deux bretteurs croisent le fer, les deux parleurs que sont Pascal et Julien vont croiser les mots durant toute la pièce. Par ailleurs, on note que le jeu des mots croisés consiste à trouver les mots que désignent des définitions formulées comme des énigmes. Tout au long de la pièce, de la même manière, les deux personnages vont apprendre à se connaître en réfléchissant aux énigmes de la vie. Cela va donner naissance à leur amitié. (On rappelle que la maïeutique est un autre nom pour l’obstétrique).

Cette première scène est l’embryon de la relation entre Pascal et Julien. Cet embryon se construit en plusieurs étapes.

Les élèves peuvent relever ces étapes. On constate qu’elles sont ponctuées par des didascalies qui marquent, après avoir accordé à Julien quelques mots, un rejet de Pascal qui retourne à son journal : « Pascal retourne à ses mots croisés ». À la fin de la scène, Pascal accepte de donner le journal à Julien, qui a donc les mots croisés entre ses mains. C’est une victoire pour lui, il a atteint son objectif : la relation peut naître. C’est d’ailleurs tout de suite après cela que les personnages s’échangent leur prénom. Il a fallu attendre dix pages, et la toute fin de la scène la plus longue de la pièce pour que le public connaisse le nom des deux personnages de la pièce, preuve s’il en est que la maïeutique est le véritable moteur dramaturgique de ce texte.