éditions Théâtrales Jeunesse

Le bruit des os qui craquent

de Suzanne Lebeau

Carnet artistique et pédagogique

En feuilletant le livre

Les élèves peuvent procéder à un repérage rapide en feuilletant le livre en portant leur attention par exemple sur :

  • La liste des personnages : pour caractériser ceux-ci que peut raconter l’emploi de l’article indéfini ?
  • La note en page 8 nous indique le passage de la parole récit à la parole directe : repérer les différences typographiques en feuilletant, repérer les didascalies en italique.
  • Comment sont décrits les lieux : description réaliste, suggérée, symbolique… ?

Pour aborder l’hybridité des écritures théâtrales contemporaines jeunesse on peut lire la table des matières :

  • Les titres des scènes sont-ils proches de l’image que se font les élèves d’un texte de théâtre ?
  • Ce type de titres peut se rencontrer dans quel genre littéraire ?
  • Peut-on faire un parallèle entre la typographie qui différencie parole récit/parole directe et ce qui relève entre les scènes et les comparutions de la parole des protagonistes et du témoignage ?

Forme dramatique

Pour travailler les rapports d’une œuvre à son genre littéraire, on peut étudier cette œuvre dans sa complexité en relevant, bien que ce soit une fiction, ce qui tient du récit (parole-récit d’Elikia, de Joseph, d’Angelina), du témoignage (porté par Angelina), du journal (le cahier d’Elikia), d’une portée philosophique. À mettre en parallèle (au lycée) avec la complexité de genre de l’œuvre de Primo Levi Si c’est un homme.
Il est bon de revoir avec les élèves les notions d’adresse dans un texte dramatique et de relever, particulièrement dans ce texte cet « appel critique dans le théâtre engagé ».
On trouve dans ce texte dramatique des situations d’énonciations complexes. Une hybridité dans sa structure dramaturgique. Il est important de distinguer les différentes voix à l’œuvre, d’envisager leurs adresses puis de se laisser emmener pour construire une lecture :

  • La voix de l’action (dialogues entre Elikia et Joseph ; au présent)
  • La voix du récit (plus proche du roman ; au passé ; présente dans la parole-récit d’Elikia et Joseph, à qui s’adressent-ils ? à eux-mêmes, au monde, au lecteur/spectateur…)
  • La voix du témoignage (portée par Angelina en direct entre son témoignage propre, le récit que les enfants lui ont fait, les mots du cahier d’Elikia)
  • La voix de l’auteur sous-jacente à travers le paratexte, la voix didascalique (entre didascalie de fiction, de régie, d’atmosphère) et à travers « Après la dernière comparution ». Car il faut se poser la question : à qui s’adresse l’infirmière ?

Oralisation

Pour entrer dans le texte et entendre comment ces multiples « voix » fonctionnent, la scène I « La fuite » et la scène III « La rivière » sont intéressantes pour aborder concrètement l’oralité particulière à ce texte et le faire résonner.
On peut proposer une lecture « à la table » (voir Oralisation d’un texte de théâtre). (Il serait bénéfique si possible de casser l’organisation habituelle d’une classe : les tables les unes derrière les autres, en pivotant simplement les tables et les chaises face à face en formant un ovale pour qu’autant que possible tout le monde puisse se voir. Cette organisation de classe conviendrait idéalement à tout travail sur le texte).

Si nous prenons par exemple la scène I :

  • Proposer dans un premier temps sa lecture à voix haute, en changeant de lecteur à chaque nouvelle réplique. Les répliques des personnages d’Elikia et de Joseph seront lues indifféremment que l’on soit fille ou garçon. Veiller à ce que tout soit lu (didascalies, noms de personnages…)
  • On peut interroger la compréhension à la suite de cette première lecture.
  • Dans un second temps, en reprenant la lecture, l’enjeu sera de bien cerner les différences d’adresse et donc d’intention qui en découlent. Quelle est la façon qui semble appropriée en lisant à voix haute pour s’adresser en direct à l’autre personnage ou pour raconter ou pour dire des informations (nom de personnages, didascalies…) ? C’est bien l’intention ici qui est en jeu.
    On peut reprendre cette lecture à voix haute en veillant à ce que chacun puisse s’essayer à ces modes d’adresses différents pour les ressentir et se mettre à l’écoute des modifications dans « la façon de dire ». Les pages 12, 14, 15, 16 recèlent de nombreuses répliques à l’intérieur desquelles l’on passe de la parole-récit à la parole directe. Par groupes de deux, sur des extraits pris dans ces pages, les élèves pourront successivement, s’essayer à ce « passage ».

À partir des « comparutions » :

  • Faire lire à voix haute la « Première comparution » puis la « Dixième comparution », deux phrases par lecteur, sans se soucier du fait que l’on ne change pas forcément de lecteur à la fin d’une phrase.
  • Veiller à ce que lors de cette lecture oralisée l’attention soit portée sur le fait de lire pour être entendu. Avec un volume adapté à la classe, dans un rythme adapté au fait de comprendre et d’être compris. Les élèves en général lisent toujours trop vite et il faut prendre le temps de laisser se déployer l’écriture dramatique intrinsèquement emprunte d’oralité.
  • Prêter une grande attention à l’articulation, c’est-à-dire que les mots prononcés fassent bien entendre les consonnes. Ne pas hésiter à accentuer ces consonnes, même si cela semble un peu artificiel.
  • Ne pas chercher à « interpréter » dans un premier temps mais à « dire » le texte, les mots.

À la lecture de ces deux comparutions, on peut interroger la compréhension et les liens que peuvent faire les élèves entre cette œuvre dramatique et des faits historiques, géopolitiques…

  • Au lycée on peut l’intégrer à un travail autour de la place du témoignage et de la mémoire dans l’histoire contemporaine.

La didascalie qui introduit la « Première comparution » p. 18, nous dit de l’infirmière (Angelina) : « ...Il n’est pas important de savoir où et pourquoi elle témoigne. Seul le témoignage importe. »

  • À qui pourrait s’adresser Angelina lors de ces comparutions et dans quel but ? Quelle peut être cette commission dont Angelina parle dans « Après la dernière comparution » et dont elle dit qu’elle doit établir un « rapport » p. 86 ?
  • Cet extrait de didascalie peut aussi être sujet à des débats. Auxquels se prêteraient particulièrement certains extraits du texte, comme :

« Elikia n’écrivait pas pour dénoncer, traquer, punir.
Elle ne donnait pas de noms.
Au contraire, elle les taisait
pour couper la chaîne de la violence
qui appelle la violence
et empoisonne la vie. » p. 87

« Comment aurait-elle vécu,
elle qui n’avait plus de passé, plus de famille,
pas de métier, pas de formation ?
[...]
Comment faut-il les traiter ?
Comme des victimes
Ou comme des bourreaux ? » p. 86

« Je veux que mes souvenirs soient utiles…
Je veux dire à ceux qui font la guerre
que si le fusil tue le corps de celui qui a peur,
il tue aussi l’âme de celui qui le porte. » p. 19

« Comment désobéir
quand c’est une arme qui ordonne ?
Quand le bras qui la tient est drogué ?
Quand l’homme qui porte l’arme
a tous les droits ? » p. 69

De la même manière il ne faut sans doute pas faire l’économie de débats argumentés sur certaines questions un peu fortes, les exemples ci-dessous ne manqueront pas d’en faire émerger d’autres :

En Histoire des arts, cette pièce peut enrichir un corpus sur les artistes et l’engagement et peut questionner :

  • Comment ce texte dramatique peut-il servir un message ? À travers quelle voix (personnages, auteur) ?
  • L’art peut-il dénoncer ?
  • En quoi une création artistique même documentée, est-elle différente d’un témoignage ?

Pour enrichir ces questions et aborder l’engagement et la démarche d’écriture de Suzanne Lebeau :

Écriture

Sur la résilience des enfants soldats, on peut donner à lire en parallèle :

  • Le témoignage d’un enfant soldat sur le site de l’Unicef :
    https://www.unicef.fr/article/enfants-soldats-sauves-par-unicef-des-jeunes-temoignent/
  • Dans le texte : « Dixième comparution » ainsi que « Après la dernière comparution ».
  • Les extraits : page 75 de la scène VIII « La palmeraie » ; ou page 77, scène IX « Je voulais crier [...] Tout me trahissait », expriment les doutes d’Elikia à pouvoir se réinsérer dans le monde. Le Mot de l’auteure p. 91 à 93.

Ces lectures peuvent donner lieu à un travail d’écriture à partir de paroles rapportées.

  • Écrire un plaidoyer pour « Christian » (l’ex enfant soldat qui témoigne sur la page de l’Unicef citée plus haut). À la manière d’un avocat, quels arguments prélever dans ces textes pour exprimer la certitude que Christian doit bénéficier d’une aide pour sa réinsertion ? s’adresser à un destinataire précis (les parents de Christian, un tribunal…)
  • À la manière des « comparutions » du texte, à quels doutes sous-jacents pourrait avoir à répondre le défenseur d’un ex-enfant soldat ?
    Lister les oppositions possibles, produire un texte argumentatif qui y répond.

On peut également proposer la réécriture d’un fragment :

  • Dans la scène VII « Joseph et la faim », prélever les répliques de Joseph p. 62 et p. 63 par exemple et les réécrire en passant de la parole directe à la parole récit (temps, type de phrase, énonciation).