éditions Théâtrales Jeunesse

Les hamsters n’existent pas

de Antonio Carmona

Carnet artistique et pédagogique

L’histoire de Baptiste : étude du paratexte

Pour introduire cette analyse et commencer l’étude du texte avec les élèves, il peut être judicieux de s’arrêter sur le titre de la pièce. Au cours d’une première discussion, les élèves peuvent être interrogé·es sur cette phrase : « Les hamsters n’existent pas ». Qu’en pensent-iels ? Sont-iels d’accord ? Quelle réaction ont-iels face à cette contre-vérité ?

Ce titre provocateur nous interpelle. Un mensonge n’est pas simplement une fausse affirmation : on peut en effet affirmer quelque chose de faux par erreur, sans savoir que ce n’est pas vrai. Au contraire, un mensonge est intentionnel. Il vient faire écran devant une vérité que la personne qui ment cherche à cacher. Il y a donc une vérité, et tout l’enjeu consiste donc à lever le voile sur celle-ci pour savoir ce que l’auteur cherche à dire avec ce titre.

Ce peut être une façon de continuer la discussion avec les élèves : avant de lire la quatrième de couverture, on peut leur demander ce qu’iels imaginent pouvoir être l’histoire de cette pièce. Après un certain temps, la discussion peut s’enrichir de l’étude de distribution, en page 6 : en effet, celle-ci nous permet d’obtenir plus d’informations sur les relations des personnages entre elleux. Ici, il semble clair que tout tourne autour de Baptiste :

  • Le personnage de Elle est désignée de manière indéfinie et semble être la narratrice, donc forcément un peu à l’écart et en retrait ;
  • La père et La mère ont des prénoms, mais sont avant tout désigné·es par la fonction qu’iels exercent ;
  • John est désigné par son prénom mais est décrit comme étant « le nouvel amoureux de maman », il est donc désigné par les mots du petit garçon.

Baptiste est le seul personnage désigné par son prénom et ne se rapportant qu’à lui-même, il semble donc être le héros. En effet, l’histoire de cette pièce est celle de Baptiste. Mais est-ce si simple ?

L’histoire du hamster

Dès la première page du texte, on apprend que Baptiste ne vit que pour son hamster Bubulle. Sa toute première réplique est en effet une longue vénération en l’honneur de son animal de compagnie :

« J’aime Bubulle.
Bubulle et moi sommes inséparables.
Il n’y a que Bubulle qui me comprenne.
Le roi des animaux, c’est Bubulle.
Moi, président, j’instaurerai un jour férié le jour de la naissance de Bubulle.
Bubulle éternue quand on lui appuie gentiment sur le nez. » (p. 7)

L’existence de ce hamster bouleverse un peu ce que nous avions pu croire jusque-là avec le titre de la pièce et la liste des personnages, parmi laquelle Bubulle ne figure pas. Il semble en effet que les hamsters existent et que l’un d’entre eux – puisqu’il est au cœur des pensées du personnage central de la distribution – est au coeur de la pièce.

On peut également le remarquer au vu du nombre d’occurrences du nom des personnages : alors que Baptiste n’est nommé (dans les répliques et les didascalies) que 43 fois, Bubulle l’est 85 fois, soit près de deux fois plus.

Par ailleurs, c’est la disparition de Bubulle (p. 16) qui constitue le véritable nœud dramaturgique : c’est ce qui arrive à ce personnage qui pousse les autres personnages à réagir. On pourra faire parvenir les élèves à cette conclusion en reconstituant avec eux les différentes étapes du récit, de la situation initiale à la résolution, au fur et à mesure de leur lecture.

Bubulle est bien le personnage central de ce texte, et Les hamsters n’existent pas est contre toute attente l’histoire d’un hamster. Pourquoi alors l’auteur a-t-il choisi ce titre ? Grâce à cette découverte, on pourra petit à petit amener les élèves à la question du mensonge.

Un hamster qui n’existe pas au centre de l’action

Quelque chose semble résister à l’idée que Bubulle est le personnage principal. À compter de la page 16, en effet, on apprend que Bubulle est mort. Il est difficile de dire que ce texte est l’histoire d’un personnage qui n’apparaît plus dans les deux derniers tiers.

Pourant Bubulle, ou son souvenir, est omniprésent. Pour s’en rendre compte, on peut imaginer un travail de découpage de la pièce avec les élèves. Si certains textes de théâtre sont explicitement divisés en scènes, ce n’est pas le cas ici. On peut malgré tout repérer ce découpage en s’aidant notamment des didascalies : à la page 19, par exemple, « Cinq jours plus tard. » nous indique que les répliques qui précèdent et celles qui suivent sont dans deux scènes séparées. Effectuer ce travail de découpage (dont voici un proposition ci-dessous) permet de mieux se rendre compte de la temporalité du texte et de sa construction, de mieux saisir les moments qui le composent.

Pour chaque scène, il peut être intéressant que les élèves expliquent en une phrase ce que les personnages y font :
  de p. 7 (du début) à p. 12 (”On est chez la mère”) : présentation des rapports que Baptiste entretient avec les autres personnages et de son adoration pour Bubulle ;
  de p. 12 à p. 15 (”BAPTISTE. – que j’ai répondu.”) : Baptiste parle de Bubulle à John et sa mère s’en va ;
  de p. 15 à p. 17 (« Temps. On passe au matin suivant ») : la mort de Bubulle ;
  de p. 17 à p. 23 (« ELLE.- c’était trop tôt sans doute. ») : Baptiste et Le Père cherchent Bubulle ;
  de p. 23 à p. 25 (« La mère raccroche ») : Baptiste essaie de dire à La Mère que Bubulle est mort ;
  de p. 26 à p. 27 (« ELLE-. La nuit juste avant de reprendre l’école. ») : Baptiste et Le Père cherchent Bubulle avec un détecteur à métaux pendant les vacances ;
  de p. 27 à p. 30 (« Petit temps. ») : la nuit où Le Père ment sur l’existence de Bubulle ;
  de p. 30 à p. 32 (« ELLE.- le retour de maman et de John ») : Baptiste cherche à se convaincre de l’existence de Bubulle ;
  de p. 32 à p. 38 (« JOHN.- (en pleurant) Chérwie ! ») : la vérité sur Bubulle et Bulma
  de p. 38 à p. 39 (fin de page) : l’enterrement de Bubulle ;
  de p. 40 à p. 40 (fin de la pièce) : l’épilogue – le concours de hula-hoop auquel asssistent, « de là où ils sont » (p. 43), Elle/Bulma et Bubulle.

À chaque fois, et bien qu’il soit mort, ce hamster semble donc occuper une place cruciale, car c’est son absence qui pousse les autres personnages à agir. Or, dans l’art dramatique, où la question de l’action est primordiale — ce mot est dérivé du grec « drama », qui signifie « action » et, particulièrement, « action jouée sur scène » —, cette position qu’occupe le hamster-qui-n’est-plus est fondamentale : « [il] n’exist[e] pas donc [il est] partout » (p. 36).

C’est du fait de cette absence que se révèle le secret final et que la véritable identité de la narratrice se dévoile au grand jour : c’est Bulma, la petite sœur de Baptiste, décédée après quelques jours de vie, que Bubulle occultait. Comme le dit d’ailleurs Elle, page 26 : Baptiste « avait perdu son hamster, mais il avait gagné un père. » L’absence de Bubulle met en évidence l’absence de Bulma. On pourrait donc affirmer que cette pièce est bel et bien l’histoire d’un hamster qui n’existe pas, ou plus, et qui pousse les personnages à parler à Baptiste d’une petite sœur qui a existé.