éditions Théâtrales Jeunesse

Les hamsters n’existent pas

de Antonio Carmona

Carnet artistique et pédagogique

Mentir pour étouffer la réalité

Comme on l’a évoqué précédemment, un mensonge n’est pas une fausse information, mais une parole que l’on a délibérément falsifiée. Cela relève donc d’un choix qu’une ou plusieurs personnes font par rapport à la vérité. Or ce choix, comme toute action, est toujours intimement lié à un certain contexte : à un moment, à un lieu, aux personnes impliquées, et à la vérité en question. Ici, le mensonge est motivé par le deuil.

Il se trouve que la vérité de toute cette histoire, la mort d’un enfant après sept jours de vie, est particulièrement douloureuse. Comme le dit Elle : « impossible de continuer à vivre après ça » (p. 35). Et parce qu’il fallait bien continuer à vivre et que « le dire c’était l’admettre » (p. 35), le meilleur subterfuge pour refuser d’admettre la mort de Bulma était donc de nier son existence. Le but du mensonge des parents ici est donc de faire comme si rien ne s’était passé, de nier tout changement dans l’ordre des choses. Ainsi, en somme, lorsque Le Père dit à Baptiste que les hamsters n’existent pas, c’est une façon de poursuivre ce mensonge initial et donc de continuer à dire que rien ne s’est passé, qu’il n’y a rien à voir, et puisqu’il est ici question de théâtre, rien à jouer : rideau. Le père se cache derrière ce mensonge pour mettre à distance la mort de Bulma et ainsi repousser son deuil.

Il arrive souvent que lorsqu’une personne ne parle pas de quelque chose qui la rend triste et malheureuse, c’est parce qu’elle ne se sent pas dans un environnement qui lui permet de le faire, elle n’a pas la place de parler. On peut imaginer réaliser avec les élèves un travail sur l’empathie à partir de dessins. Iels dessinent les choses que l’on peut faire pour écouter les autres et les aider à parler des choses qu’iels n’osent pas forcément dire et qui leur pèse : dessiner l’endroit où on peut parler, l’attitude, les gestes qu’on peut faire, le contexte, etc.

L’impossibilité de parler

Mais Baptiste n’est pas dupe quant à la disparition de son hamster. Il ne reste pas sans rien faire, et n’a de cesse d’essayer d’affirmer la vérité.

Il peut être intéressant de noter avec les élèves tous ces moments où Baptiste cherche à se faire entendre. Par exemple : « Bubulle aussi a existé, pas vrai ? » (p. 31), « Tu sais, peut-être que Bubulle est mort, mais alors il faut l’enterrer. » (p. 25), etc. Après avoir repéré toutes ces tentatives, il est important de regarder la réaction des autres personnages. Prennent-ils en compte la parole de Baptiste ? De quelle façon ? Pourquoi ?

On constate que jusqu’à la fin de la pièce, les autres personnages refusent toujours de l’écouter. La discussion est toujours perturbée : on lui répond soit par des silences, soit par de la colère, ou bien il parle avec sa mère via un téléphone qui capte mal, ou à un beau-père qui parle anglais...

Cette façon de faire réduire Baptiste au silence est également liée à son statut d’enfant au milieu d’adultes, comme si on lui disait « laisse parler les grandes personnes ». Cette question du droit à la parole et des mensonges des adultes peut faire l’objet d’une discussion avec les élèves.

Par ailleurs, Baptiste n’est pas le seul à ne pas être entendu. Bulma/Elle, qui sait pourtant tout, essaie bien de nous prévenir. Elle dit page 23 :

« Quelques mots de la part du père, l’évocation de mon nom et un petit tour jusque dans la colline pour que tout prenne sens mais… c’était trop tôt sans doute ».

En évoquant le fait qu’elle a un nom, elle nous donne un indice assez explicite sur son identité. Cela soulève par ailleurs une interrogation quant à sa place dans l’histoire : en disant cela, elle indique qu’elle connaît la vérité, mais elle ne la révèle pas. Elle se place donc véritablement comme une narratrice qui ménage ses effets pour mieux raconter son histoire dont elle est en retrait, un peu à l’écart. Néanmoins, elle est directement concernée par cette histoire : Bulma, c’est elle. Les deux dernières répliques de la pièce (p. 43) sont d’ailleurs un échange direct entre Elle/Bulma et Baptiste. Son statut est donc flou et changeant : tantôt interne, tantôt externe, tantôt fantôme. Ce statut pourra être interrogé en classe, et permettra d’aborder la question de l’adresse et de l’énonciation (voir le glossaire à ce sujet).
Le tourbillon des recherches incessantes de Bubulle font que la réplique page 23 semble passer inaperçue. Il faut donc que quelque chose se passe pour que la vérité advienne.

La nécessaire création d’une fiction : mentir pour révéler

Face à ce silence, Baptiste n’a d’autre choix que d’agir. Or, on l’a vu, il est impossible pour lui de faire ça frontalement, car il se heurte toujours au refus des autres personnages. Le jeune garçon est donc obligé de trouver un stratagème : lui aussi, à son tour, va mentir.

Le mensonge de Baptiste ne consiste pas à créer une histoire de toute pièce comme l’a fait son père. Au contraire, il s’applique à croire à la fiction de son père en « faisant semblant de chercher Bubulle à l’extérieur du bâtiment » (p. 18). Baptiste sait que son père a tué le hamster, il l’a vu de ses propres yeux, mais il joue à l’enfant qui ne sait pas et qui cherche un Bubulle vivant alors qu’en réalité, il cherche son cadavre. Il s’agit bien là d’un arrangement avec la réalité pour parvenir à ses fins. Là où le mensonge de Baptiste diffère de celui de son père toutefois, c’est que quand celui-ci cherchait à étouffer la réalité, celui-là cherche au contraire à la révéler.

À l’image de Baptiste, on peut proposer aux élèves un exercice d’écriture, où ils pourront travailler à rédiger l’histoire de leur plus beau mensonge.