éditions Théâtrales Jeunesse

Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ?

de Sylvain Levey

Carnet artistique et pédagogique

Un auteur raconte une histoire, et en racontant cette histoire, il s’approprie une langue, tord les mots, en joue, réinvente sans cesse le langage. En ce sens, Sylvain Levey est un auteur et un écrivain à part entière. Il invente à chaque pièce un nouveau langage, avec ses propres codes, sa propre structure et grammaire, son vocabulaire, ce que l’on reconnaît comme « son style littéraire ». Dans cette pièce, Sylvain va encore plus loin et fait un détour inattendu par un des moyens de communication qui n’est souvent pas correct d’un point de vue de la langue : le langage des réseaux sociaux. Il le détourne à son tour, pour en dégager le fil d’une histoire, compresse les mots, joue. Il mélange un langage littéraire, un langage parlé et un langage qui imite celui des réseaux sociaux.

Un style littéraire où s’insèrent :

  • des commentaires
  • des pensées de personnages
  • des émoticônes décrits (et non dessinés) : « Emoji girly » (p. 8), smiley, etc.
  • des rêves
  • des émotions
  • des noms de marques publicitaires

C’est une écriture très codée, avec des phrases courtes, quelques fois avec un seul verbe, décrivant des actions très pragmatiques, comme p. 7 :

Se lever. C’est difficile.

Cela nous montre comment le langage internet peut structurer notre pensée. Si on peut véritablement parler de révolution, c’est d’abord parce qu’il se trouve ici un nouveau langage, un langage inventé qui fait écho au langage inventé par les réseaux sociaux, et le web en général. En effet, avec l’avènement du numérique, de nouveaux langages ont été créés : HTML, XML, qui s’appuient sur des balises afin de mettre en forme des textes. D’autres technologies (Javascript par exemple), permettent de coder des pages web, d’inclure des contenus multimédias. C’est la même chose pour les réseaux sociaux en général : les émojis, les effets que l’on peut ajouter à ses messages, les pictogrammes (j’aime / j’adore / je suis triste).
Il serait intéressant de s’interroger tout au long de l’étude de la pièce : en quoi ces nouveaux langages changent-ils notre manière d’écrire, d’être au monde ? Comment ces nouveaux langages, codés, modifient-ils notre manière de parler et de penser ?

La pièce nous questionne sur notre propre rapport à l’écrit. Dans un cadre scolaire, un élève pourra avoir des difficultés à écrire, parce que l’écriture peut faire peur. On a en tête des grands auteurs qu’on ne pourra jamais égaler. Sylvain Levey renverse cela. Il fait là encore un pas de côté par rapport au scolaire, au « littérairement correct », permettant à chacun d’y trouver sa place. Écrire, ce n’est rien d’autre que « mettre du noir sur du blanc », pour reprendre les mots de l’auteur. Une définition très simple qui démythifie le rapport à l’écriture tout en lui donnant un sens fort : écrire n’est qu’une question de contraste de couleur, de nuances, d’impressions posées sur le papier. Tout est écriture.

Exercice d’écriture :

En ce sens, ce texte est aussi très intéressant pour continuer le travail en atelier d’écriture. Un exercice très simple pourrait être mis en place : les élèves devront s’inspirer d’un texto simple pour le transformer en petite phrase poétique.
Pour les inspirer, on peut leur donner les exemples des haïkus japonais, de très courts poèmes. On pourra aussi complexifier l’exercice en leur proposant de mettre en forme leur très court poème, comme un calligramme (voir ceux de Guillaume Apollinaire par exemple).

Le rabbit-hole

La mort du lapin, p. 10, fonctionne comme une clé d’entrée dans la pièce. La notion de « rabbit-hole » est intéressante à développer avec les élèves, dans une perspective transmédia.

Dans Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, c’est en voulant suivre le lapin que la petite fille tombe dans le terrier et quitte la réalité pour le pays des merveilles. Le lapin porte une montre à gousset qu’il consulte sans cesse tout en répétant qu’il est en retard. Alice le retrouvera ensuite dans sa maison au pays des merveilles, où il la prendra pour sa domestique. Lors du non-anniversaire du Chapelier fou, le lièvre de Mars découvre alors que la montre du lapin retarde de deux jours. Le lapin, symbole du temps, est celui qui rend possible l’histoire.

Dans la pièce de Sylvain Levey, le lapin est écrasé par la voiture. Il opère une transition brutale entre le dialogue avec Michelle et sa mère, et la réalité de la situation (les élèves et les professeurs qui attendent Michelle pour que le voyage scolaire puisse commencer). Michelle tient à tout prix à donner une sépulture à ce lapin écrasé. En cherchant les outils pour faire un trou dans la terre, elle trouve la pelle qui appartenait à son père. On apprend la mort du père par l’enterrement du lapin. Le lapin est non seulement celui qui permet l’histoire mais il est aussi celui qui nous fait comprendre le sens de la temporalité et de notre finitude.