éditions Théâtrales Jeunesse

Le Gardien de mon frère

de Ronan Mancec

Carnet artistique et pédagogique

Une des réactions que pourront avoir les adolescents en lisant cette pièce, c’est de se demander pourquoi Abel ne réagit pas plus tôt et se tait quand son frère le pousse dans ses retranchements. Cette absence supposée de réaction devra être travaillée à la scène en montrant l’« explosif insondable » que peut contenir le silence, pour reprendre la formule de Claude Régy (28). Il faudra donc choisir les séquences de dialogue entre Jo et Abel et pas spécifiquement les séquences en écholalie où Abel se remémore les phrases entendues. Il s’agit donc des séquences 11 et 20 de la pièce. On pourra donc encore une fois garder un système où plusieurs élèves interprètent le personnage mais cette fois-ci dans une logique d’enchaînement pour donner du rythme et de l’épaisseur aux silences. Toutes les occurrences de l’indication « Temps » doivent donner lieu à une réflexion de la part des élèves. Pourquoi sont-ils si nombreux et comment les jouer ? On pourra leur suggérer la mise en œuvre d’un rapport de force à cet endroit de la pièce en laissant du temps s’écouler, en les laissant s’imprégner pour que les mots prononcés par Jo aient le temps d’infuser la scène. Du point de vue du placement, il est évident que les deux personnages ne se regardent pas pendant ces échanges, qu’Abel est en devant de scène et Jo plutôt à l’arrière et que les temps s’accumulent aussi parce qu’Abel ne sait pas ce que Jo va encore dire : c’est d’ailleurs mis en évidence dans les scènes en écholalie avec la bande d’ados et ce dès le début de la pièce (29). Il faut donc que les groupes d’élèves qui interpréteront les deux personnages puissent essayer de se représenter en quelque sorte ce que le personnage d’Abel pense de ces attaques au moment son frère Jo l’accule. Car la réaction d’Abel se situe justement dans les scènes en écholalie où il revit les événements. Dès lors, les Abel au premier plan de la scène doivent d’une certaine façon montrer une forme d’émotion intérieure, cela se manifestera par des gestes d’anxiété très léger et une voix sèche et comme détachée du corps (30). Comment manifester cette dissociation qui est racontée dans les scènes d’écholalies ? C’est tout l’enjeu du travail collectif autour de ces deux scènes, on pourra peut-être s’aider de percussions qu’on se procurera facilement en salle de musique en laissant des élèves rythmer les paroles assassines de Jo et les laisser résonner comme pour montrer à quel point elles se réverbèrent en Abel même s’il paraît impassible. On peut aussi, comme on a fait deux groupes de personnages, faire en sorte que le groupe des Abel se vide peu à peu de ses membres comme pour montrer ces fractures et blessures psychologiques qu’éprouve Abel à ce moment-là. On pourra contrebalancer cet effet d’évidemment en grossissant peu à peu le groupe des Jo.

Notes

(28) « Le théâtre n’est utile que s’il contient un explosif insondable. D’un ordre non clair. Le théâtre doit être le corps conducteur d’un acte de résistance concentré, plus violent et plus calme que n’importe quelle déclaration ou n’importe quel discours rationalisé. » Claude Régy, Écrits 1991-2011, L’Ordre des morts, Les Solitaires Intempestifs, « Œuvres choisies », 2016, p. 159.

(29) « Moi je me suis levé et j’ai fait un pas vers la porte
Il a dit
Qu’est-ce-que tu fais ?
Ne pars pas
Je n’ai pas fini de te tuer. » (Abel, Séquence 1, p. 9).

(30) « Ce quelqu’un en moi n’était pas moi
Ce quelqu’un en moi cherchait à me sauver » (Abel, Séquence 22, p. 73).