éditions Théâtrales Jeunesse

Les Abîmés

de Catherine Verlaguet

Carnet artistique et pédagogique

1. Formes de lecture pour entrer dans le texte : pages 11 à 20 « tu comprends ? »

Cycle 3 : Pour créer à la fois l’intimité avec les personnages, qui sont dans la confidence, sans risquer que la dureté de certains passages ne blesse les plus jeunes lecteurs, on choisira un cadre protecteur et privilégiera la lecture du « Bruit et du silence » en présence de l’adulte.

Ceci dit, l’expérience de plusieurs enseignant⸱es prouve qu’il n’y a pas lieu de trop s’inquiéter. Comme l’écrit l’autrice, « [l]es plus innocents comprennent que quelque chose ne va pas à la maison. Les plus avertis ne comprennent que trop bien de quoi il s’agit » et ne posent pas plus de questions.

Deux options :

  • tous ensemble, en cercle, lecture offerte, surtout si deux adultes sont présents,

  • chacun se trouve un coin à lui pour lire (pas aux tables) : l’adulte veille aux potentielles réactions.

Cycle 4 et seconde : On privilégiera cette dernière solution où l’on entrera dans le texte par une lecture chorale en cercle, des pages 11 à 14 jusqu’à « Moi, ça va. », en changeant de lecteur à chaque passage à la ligne. Dans le cercle, l’adulte lira le paratexte « Le Bruit et le silence », les personnages, puis les didascalies pour donner le « la » d’une lecture tenue, portée. On laissera les jeunes lire seuls jusqu’à la page 20 : « tu comprends ? »

2. Impressions et éclaircissements

On suscitera d’abord la libre expression sur les personnages, la situation, peut-être aussi les réactions par rapport à l’idée qu’ils se font du théâtre.

Puis, en cycle 3, on commencera le remplissage du tableau ou le dessin de l’arbre sous les nuages noirs.

3. Rage, douceur et solidarité

Comment chaque frère réagit-il à la souffrance ?

Les frères ont deux réactions différentes, indiquées par le titre de cette partie : la colère pour Ludo, et le silence pour P’tit Lu.

Ce contraste s’impose d’emblée au spectateur par cette image théâtrale forte choisie par l’autrice : après le monologue tout en rage de Ludo, la traversée silencieuse et énigmatique de la scène, « à pas de louveteau », de P’tit Lu (ou P’tit Loup).

Que va-t-il faire dans ce placard ? Se réfugier, se protéger ? La crainte du spectateur est maintenue par ce qu’évoque Ludo dans la suite du monologue. Ce n’est que peu à peu, par le geste énigmatique de l’écrasement de l’œuf, l’excitation enfantine de P’tit Lu et enfin l’explication de Ludo, que le spectateur va comprendre : il pense couver un œuf.

Les élèves pourront alors s’interroger sur pourquoi et comment il couve cet œuf, et émettre des hypothèses sur ce choix de l’autrice. Pourquoi un œuf plutôt qu’une peluche ?

Pourquoi cette partie se clôture-t-elle sur Ogre, le poussin, seul ?

  • peut-être parce qu’il veut un petit être vivant fragile comme lui à protéger ? Peut-être parce qu’il transfère la douceur et la protection qu’il n’a pas eues ?

  • peut-être pour symboliser la fragilité et la solitude ?

Une protection mutuelle

Au-delà de la dispute autour de l’œuf, Ludo protège P’tit Lu quoi qu’il lui en coûte. En taisant ce qu’ils subissent, il se sacrifie : « C’est pour maman surtout que je dis rien. / Et pour P’tit Lu. / Maman, elle a besoin de nous. / P’tit Lu, il a besoin de maman. / Et moi… / Moi, ça va. » (page 14) Il entretient son rêve de faire éclore un poussin, quitte à lui mentir ; s’assure avant de fuguer que P’tit Lu quittera la maison pour échapper au « faire silence » du père. Il a sa propre souffrance mais aussi le poids de la responsabilité. P’tit Lu, lui aussi, veille à sa mesure sur Ludo : « Quand Ludo est puni, je vais dans le placard. […] Je préfère le placard. Être pas trop loin de Ludo, au cas où. » (page 18).

4. Une parole nue en proximité avec le spectateur : monologue pages 11-12

Catherine Verlaguet a fait le choix dramaturgique du théâtre-récit alternant les monologues (récit ou confidences) et les passages dialogués.

Dans cette première partie, les deux sont clairement distincts : de longs monologues de Ludo et de P’tit Lu s’adressant en confidence au spectateur (image de leur solitude souffrante, ils n’ont que lui sur qui s’appuyer) et des moments de vie au présent, dialogués.

D’emblée, la proximité avec le lecteur ou le spectateur est établie par la simplicité de « J’m’appelle Ludovic. » (page 11), qui pourrait presque laisser croire que celui qui lui parle n’est pas un personnage de théâtre, mais un jeune qui vient raconter sa vie. Ceci est renforcé par « À l’époque de cette histoire, j’ai douze ans. » (page 11). On entre dans une confidence. Quel âge a celui qui raconte ? On peut supposer au moins 16 ans, la troisième partie nous laissera penser 18 ans ou plus.

Pour faire percevoir la justesse de cette parole brute, nue, on pourra passer par une première oralisation collective du monologue jusqu’à « Et même, ça lui va bien » (page 12), en se reportant à Mise en voix / mise en espace.

Les enfants ou jeunes sentiront la vérité de cette parole comme restituée qui leur semblera familière (phrases courtes, passages à la ligne et répétitions). Ils pourront répondre à la question : pourquoi l’autrice a-t-elle fait parler Ludo ainsi ?

Voici quelques pistes de réflexions :

  • ses phrases sont comme des coups de poing,

  • il n’organise pas sa pensée car tout se bouscule dans sa tête,

  • il se confie aux lecteurs dans l’émotion, et c’est sans doute la première fois qu’il le fait.

Pour mieux faire prendre conscience que c’est un choix d’écriture fort, l’adulte pourra avoir réécrit le début du monologue à la façon d’un narrateur extérieur, pour comparer les deux et mesurer l’effet produit sur scène.

Cette parole est aussi une confidence au public : preuve si nécessaire à la page 20 « tu comprends ? », avec le tutoiement qui implique directement le lecteur·rice ou spectateur·rice.

Ce sont ces choix d’écriture qui font qu’au moins nous, adultes ou jeunes, et sans doute certains enfants, sommes aussitôt saisis d’émotion.

Voir approfondissement et traduction dans Mise en voix / mise en espace.